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peser, à son tour, sur le sénat, la flétrissure de l’avoir lui-même assassiné. Et cependant les sénateurs célèbrent Romulus comme un fils des dieux ; ils disent qu’une divinité l’a nourri dans son enfance et couvert d’une protection surnaturelle. Pour moi, je suis de race mortelle, j’ai été élevé et nourri par des hommes que vous connaissez. Ce qu’on loue dans ma conduite est l’inverse de ce qu’il faut à un homme qui doit régner ; c’est le calme, les longues heures consacrées à l’étude et aux loisirs, un amour profond et inné de la paix et des travaux étrangers à la guerre, les assemblées où l’on s’occupe à honorer les dieux et à se faire bon visage, puis, quand on se sépare, la culture des champs et le soin des troupeaux. Mais à vous, Romains, Romulus vous a laissé, malgré vous peut-être, des guerres nombreuses, et la ville a besoin, pour résister, d’un roi bouillant et dans la force de l’âge. Ce peuple est accoutumé aux armes et son ardeur développée par le succès ; personne n’ignore qu’il ne veut que s’agrandir et commander aux autres. Je serais donc un objet de risée, si l’on me voyait servir les dieux, honorer la justice, inspirer la haine de la violence et de la guerre, dans une cité qui a plutôt besoin d’un chef d’armée que d’un roi. »

6. À ces raisons, alléguées par Numa pour refuser la royauté, les Romains opposent les plus vives instances : ils les supplient de ne pas les replonger dans de nouveaux troubles et dans la guerre civile, étant le seul qui agréât aux deux partis. Quand ils se sont retirés, le père de Numa et Marcius font en particulier tous leurs efforts auprès de lui, pour le décider à accepter ce grand et divin présent : « Si ta fortune suffit à tes désirs, si tu n’ambitionnes pas la gloire attachée au commandement et à l’autorité, parce que tu en as une supérieure dans ta vertu, considère du moins que régner c’est servir dieu. C’est Dieu qui t’appelle et qui ne veut pas laisser inutile et désoeuvrée la justice qui brille en toi. Ne fuis donc point, ne refuse point le pouvoir, qui est pour un homme sage un champ de grandes et nobles actions. C’est là qu’on peut honorer magnifiquement les