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beauté, c’est ce qu’il est impossible de croire. Ce qu’on peut le plus raisonnablement admettre, c’est que les dieux ont de l’amitié pour les hommes ; que de cette amitié naît en eux le sentiment qu’on appelle amour, et qui de leur part n’est qu’un soin plus particulier de former les moeurs de ceux qu’ils affectionnent, et de les rendre vertueux. C’est ainsi qu’on peut justifier ce que les poètes racontent de l’amour d’Apollon pour Phorbas, pour Hyacinthe, pour Admète, et surtout pour Hippolyte de Sicyone, qui n’allait jamais par mer de cette ville à Cirrha, que la Pythie, saisie de l’esprit du dieu, qui sentait l’approche de ce jeune homme et se réjouissait de son retour, ne prononçât ce vers héroïque :

« Hippolyte revient ; il traverse la mer. »

On dit aussi que Pan aima Pindare et ses poésies ; que les dieux firent rendre des honneurs à Hésiode et à Archiloque après leur mort, parce qu’ils avaient été chers aux Muses ; qu’Esculape alla loger chez Sophocle, du vivant de ce poète, et qu’il subsiste encore au-jourd’hui des preuves de cette visite : on ajoute qu’après sa mort un autre dieu lui procura une sépulture honorable. Si nous croyons que les immortels ont ainsi honoré ces poètes, pourrions-nous sans injustice refuser de croire qu’ils aient fait le même honneur à Zaleucus, à Minos, à Zoroastre, à Numa et à Lycurgue, qui tous ont gouverné de grands empires ou fondé des républiques ? N’est-il pas plus vraisemblable que ces divinités ont conversé familièrement avec ces grands hommes, pour leur inspirer les entreprises glorieuses qu’ils ont exécutées ; et que s’il est vrai qu’elles se soient jamais communiquées à des poètes et à des joueurs de lyre, elles ne l’ont fait que par simple plaisir ? Au reste, si quelqu’un est d’un sentiment différent, je lui dirai avec Bacchylide :

« Le chemin est ouvert. »