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sa maison tout luxe et toute magnificence. Il était, pour les citoyens et pour les étrangers qui le consultaient, un juge et un arbitre incorruptible. Il consacrait son loisir, non à rechercher les voluptés ou à amasser des richesses, mais à honorer les dieux, à s’élever par la raison à la connaissance de leur nature et de leur puissance ; et par là il s’était acquis tant de réputation et tant de gloire, que Tatius, celui qui régnait à Rome avec Romulus, le choisit pour son gendre, et lui donna en mariage sa fille unique Tatia. Cette alliance, loin de lui enfler le coeur, ne le porta pas même à aller vivre auprès de ce prince. Il resta toujours à Cures pour soigner la vieillesse de son père ; et Tatia elle-même préféra la vie obscure et paisible de son mari, aux honneurs dont elle aurait pu jouir à Rome dans la maison paternelle : elle mourut après treize ans de mariage.

4. Alors Numa, abandonnant le séjour de la ville, alla, par goût, habiter la campagne, où il vivait seul, se promenant dans les bois et les prairies consacrées aux dieux, dans les lieux les plus solitaires. Ce fut cet amour de la retraite qui fit courir le bruit que ce n’était ni la mélancolie, ni la douleur, qui portait Numa à fuir le commerce des hommes ; qu’il avait trouvé une société plus auguste, celle d’une déesse qui l’avait jugé digne de son alliance ; que la nymphe Égérie ayant conçu pour lui une vive passion, lui avait donné sa main, et lui faisait mener la vie la plus heureuse, en éclairant son esprit par la connaissance des choses divines. Ce récit, comme il est aisé de le voir, ressemble fort à ces anciennes fables que quelques peuples ont reçues de leurs pères, et qui sont arrivées jusqu’à nous ; telles sont celles des Phrygiens au sujet d’Attys, des Rithyniens sur Hérodotus, des Arcadiens sur Endymion, et sur beaucoup d’autres qui ont passé pour des hommes heureux, pour des amis de déesses. À la vérité, il est naturel de croire que Dieu, qui aime non les chevaux ou les oiseaux, mais les hommes, se communique volontiers à ceux qui excellent en vertu, et ne dédaigne pas de converser avec un homme religieux et saint : mais qu’un être divin s’unisse à une substance mortelle, qu’il soit épris de sa