Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 5, 1870.djvu/204

Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
VIE D’HOMÈRE.

il la donna en mariage à Phémius, maître d’école à Smyrne. Critheïs allant un jour laver son linge dans le fleuve Melès, fut surprise par les douleurs de l’enfantement, et accoucha d’Homère sur les bords de ce fleuve : ce fut pour cela qu’on le nomma Mélésigène. Par la suite, lorsqu’il eut perdu la vue, il changea ce nom en celui d’Homère, nom que les habitants de Cumes et les Ioniens en général donnaient aux aveugles, parce qu’ils ont besoin de « gens pour les conduire » (tôn homerevendôn). Voilà le récit d’Éphore.

3. Aristote dit, dans le troisième livre de sa Poétique, que vers le temps où Nélée, fils de Codrus, conduisit en Asie une colonie Ionienne, il y avait dans l’île d’Ios une fille qui ayant été rendue enceinte par l’un des Génies de la suite des Muses, eut honte de son état, et se réfugia, pour le cacher, dans un canton nommé Ægine. Des pirates qui parcouraient les mers l’enlevèrent de cet endroit, l’emmenèrent à Smyrne, qui était alors soumise aux monarques de Lydie, et l’offrirent, comme gracieux présent, à Mæon, roi des Lydiens, leur allié. Mæon, charmé de la beauté de cette fille, l’épousa. À très-peu de temps de là, sur les bords du Melès elle fut surprise par les douleurs de l’enfantement, et elle y accoucha d’Homère. Elle mourut aussitôt après ses couches, mais son époux adopta l’enfant et l’éleva comme le sien. Mæon mourut lui-même peu de temps après. Les Lydiens, à cette époque, se trouvant vivement pressés par les Æoliens, résolurent d’abandonner Smyrne. Leurs chefs ayant fait publier que ceux qui voudraient les suivre eussent à sortir de la ville, Homère, qui était encore enfant, dit qu’il voulait aussi les suivre (homêrein), et ce fut de là qu’on le nomma Homère au lieu de Melesigène.

4. Parvenu à l’âge viril, et s’étant déjà fait quelque réputation par son talent poétique, il alla demander à l’oracle d’où il était, et quels étaient ses parents. Le dieu lui répondit :

L’île où naquit ta mère, et qui se nomme Ios,
Est le sol où plus tard reposeront tes os.