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CONTRE COLOTÈS.

jeune homme n’excite pas contre lui la haine et la malveillance. » Il faut être un sophiste et en avoir l’impudeur, pour écrire avec tant d’impertinence et d’orgueil contre des philosophes renommés. Certes les Platon, les Aristote, les Théophraste, les Démocrite, ont réfuté leurs devanciers dans maints ou maints ouvrages, mais nul autre que Colotès[1] n’osa publier un livre dont le titre veut dire : « attaque portée contre tous à la fois. »

30. Aussi, à l’exemple de ceux qui se sont rendus coupables envers la Divinité, Colotès proclame lui-même ses torts. Voici en quels termes il s’exprime à la fin de son livre : « La vie humaine, grâce aux législateurs, à ceux qui ont institué des droits et qui ont placé les villes sous l’empire de rois ou de magistrats, la vie humaine offre toute la sûreté et la garantie désirable : les troubles en sont bannis. Que l’on supprime ces institutions, nous vivrons comme des bêtes sauvages, et le premier venu sera presque tenté de dévorer celui qu’il rencontrera. Je rapporte ici ses paroles mêmes. Or elles manquent de justice et de vérité. Si après nous avoir enlevé les lois, on nous laisse les dogmes de Parménide, de Socrate, d’Héraclite, de Platon, nous serons bien loin de songer à nous manger les uns les autres et de vivre comme des bêtes sauvages. En effet nous craindrons ce qui est honteux, nous honorerons, comme belles choses, la justice et les Dieux, en qui nous verrons des maîtres[2] bienveillants, des Génies protecteurs de notre existence ; nous n’aurons garde de mettre l’or qui est sur la terre et dans ses entrailles en balance avec la vertu ; et, comme dit Xénocrate[3], nous ferons volontairement, sous les auspices de la raison, ce que nous ne faisons aujourd’hui que malgré nous, par la contrainte des lois. Voulez-vous savoir quand notre vie sera barbare, sauvage, insociable ? Ce sera lorsque les lois seront supprimées, oui, sans doute ; mais lorsqu’en même

  1. Le texte dit seulement : « Mais aucun autre. »
  2. Amyot et après lui Ricard : « les magistrats. » Il nous semble que ce dernier mot forme un grave contre-sens, et qu’il ne devait plus être question de magistrats puisqu’on suppose les lois supprimées.
  3. Cette petite phrase incidente est omise par Amyot.