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CONTRE COLOTÈS.

volontiers qu’il n’y a aucune espèce de perceptions, qu’ils ne les accueilleraient toutes comme élant vraies. Ils mettraient en doute tout ce qu’ils ont occasion de rencontrer, hommes, faits et discours, plutôt qu’ils ne regarderaient comme possible et réelle aucune de ces visions fantastiques inventées par la frénésie et par un délire de Corybantes, ou par le caprice des rêves.

Ainsi donc ce que nous n’avons pas le droit de repousser, nous pouvons, du moins, le laisser en question, et suspendre notre assentiment. N’eussions-nous d’autre raison pour le faire, c’en serait une légitime, que cette prodigieuse différence d’opinions entre les savants sur la nature des perceptions. Nous ne sommes que trop autorisés à douter qu’il у ait rien de raisonnable dans des théories si obscures et si confuses. Quand il s’agit des divergences relatives « à l’infinité des mondes, à la nature des atomes, aux substances indivisibles et à leurs déclinaisons », quoique tout cela jette un trouble complet dans quelques esprits, il y a du moins cette consolation, que rien de ces objets n’est près de nous, ou plutôt, que toutes ces questions se trouvent placées hors de la portée de nos sens. Mais quand c’est sur ce qui frappe nos yeux, nos oreilles, nos mains, que portent cette incrédulité, ce trouble et cette ignorance, quand il y va des perceptions de nos sens et de notre vue, desquelles la vérité ou la fausseté est un objet d’incertitude, quelle opinion ne serait pas ébranlée ? N’en est-ce pas assez pour bouleverser toute adhésion et tout jugement ? Si des hommes qui, loin d’être sous l’influence de l’ivresse, de quelque drogue ou du délire, sont à jeun, bien portants ; si des hommes qui écrivent sur la vérité, sur les règles, sur les jugements, en viennent, lorsqu’il s’agit des affections et des mouvements les moins douteux, à croire que ce qui n’existe pas est vrai, et que ce qui est vrai est faux et chimérique, il y a lieu de s’étonner non pas de ce qu’ils prennent à loisir leur temps pour donner leur adhésion à toutes choses[1], mais bien

  1. M. à m. : « Il y a lieu de s’étonner non pas qu’ils restent immobiles à propos de toute chose, etc. »