Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 4, 1870.djvu/636

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
626
CONTRE COLOTÈS.

l’organe, qui est chaude ? N’est-ce pas la même chose que quand nous disons, à propos du goût : ce n’est pas l’objet extérieur qui a une saveur douce, mais c’est la sensation et le mouvement dont le siége est dans le goût, qui ont cette douceur ? Celui qui dit : « Je perçois une image à forme humaine, mais mes sens ne me disent pas si c’est un homme », d’où a-t-il pris son point de départ pour raisonner ainsi ? Sans aucun doute il s’est inspiré de ceux qui conviennent qu’ils perçoivent un objet de forme ronde, mais qui prétendent que leur vue ne saurait décider s’il est rond, s’il est courbé. Seulement, disent-ils, il y a eu dans notre œil une image, une impression ronde ou courbée. Mais, par Jupiter, dira quelqu’un, si je m’approche de la tour, si je touche à la rame, je prononcerai que celle-ci est droite, que celle-là est polygone[1]. Et lui aussi[2], quand il sera près de l’objet, dira bien : Je crois, il me paraît ; mais il n’accordera rien de plus. En vérité, ô cher philosophe, un tel argumentateur est beaucoup plus curieux que vous ne l’êtes, de se montrer conséquent. Il voit que toute perception mérite également notre confiance en elle-même, mais qu’elle n’en mérite aucune par rapport à autre chose, et qu’à ce dernier point de vue, elles sont toutes d’une même condition. Vous, au contraire, vous ne pouvez plus soutenir[3] que toutes les perceptions soient vraies et qu’il n’y en ait aucune d’infidèle et de fausse, puisque vous croyez que les unes doivent prononcer sur l’objet extérieur, et que pour les autres vous n’ajoutez foi qu’à l’impression que vous en éprouvez. Si elles méritent la même confiance de loin comme de près, il est juste, ou bien de reconnaître chez toutes, ou de n’accorder à aucune, le droit de juger et de prononcer que l’objet existe. Si, au contraire, il y a différence dans la manière d’être affecté suivant qu’on s’éloigne ou qu’on se rapproche, il est faux qu’il n’y ait pas des perceptions et des

  1. Autrement dit : « n’est pas ronde. »
  2. À savoir celui qui disait plus haut : « Je perçois une image à forme humaine ; mais mes sens ne me disent pas si c’est un homme. »
  3. M. à m. « pour vous au contraire, s’enfuit, disparaît le droit de soutenir. »