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CONTRE COLOTÈS.

vait pas eu ce respect pour des philosophes qui leur étaient bien supérieurs. Il veut réfuter en premier lieu, autant que je le présume, les Cyrénaïques, et après eux les Académiciens de la secte d’Arcésilaüs. Ces derniers s’opposaient à l’affirmation sur toutes choses. Quant aux premiers, plaçant dans l’homme même ses perceptions et ses affections, ils croyaient qu’elles ne méritaient pas assez de confiance pour qu’on affirmât rien sur les objets. Comme des assiégés qui délogent des postes extérieurs, ces philosophes se sont renfermés dans les affections. Ils admettent le « il paraît » ; mais jamais, parlant des choses extérieures, ils ne prononcent : « telle chose est ». C’est pour cela que Colotès dit « qu’ils ne peuvent ni vivre, ni faire usage des choses ». Puis, prenant le ton plaisant de la comédie : « Ils ne veulent pas, dit-il, que homme, cheval, muraille existent, mais ils prétendent qu’eux-mêmes sont muraillés, chevalisés, humanisés[1]. » C’est là tout d’abord employer le procédé des calomniateurs et abuser malicieusement des mots. Sans doute c’est bien à cette conséquence qu’aboutissent en effet les Cyrénaïques, mais il aurait fallu exposer leur doctrine comme ils l’enseignent eux-mêmes. Voici comment ils s’expriment : « Nous sommes adoucis, rendus amers, éclairés, obscurcis, lorsque chacune de ces qualités exerce en nous son action propre et l’exerce d’une manière inséparable. Mais que le miel soit doux, que la feuille de l’olivier sauvage soit amère, que le vin pur réchauffe, que l’air pendant la nuit soit ténébreux, ce sont autant d’effets contre lesquels protestent par leur témoignage beaucoup d’animaux, beaucoup de substances, beaucoup d’hommes. Par exemple, certains hommes ont le miel en aversion, et aiment la feuille de l’olivier sauvage ; certaines substances sont brûlées par la grêle, certaines autres sont refroidies par le vin ; il y a des animaux que le soleil aveugle et qui voient clair pendant la nuit. Ainsi, tant que l’opinion s’en tient aux

  1. Nous commettons à dessein des barbarismes analogues à ceux du texte. C’est là ce qui constitue le sel de la critique de Colotès : il le croit du moins.