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CONTRE COLOTÈS.

est vertueux, un et séparément « un vertueux qui est vertueux, » « un général qui est général » ; s’il faut dire, non pas « dix mille cavaliers, une ville bien fortifiée mais « des cavaliers cavaliers, dix mille qui sont dix mille », et ainsi du reste ? » À cela je réponds[1] : Quel homme en a vécu plus mal pour cela ? Peut-on ne pas comprendre, en entendant ce propos, que c’est celui d’un philosophe qui plaisante finement, ou qui propose aux autres cet exercice de dialectique ? Ô Colotès, ce n’est pas quand on dit « un homme vertueux » ou « dix mille cavaliers » que l’on commet un acte déplorable : c’est quand on dit, quand on pense que Dieu n’est point Dieu. Voilà pourtant ce que vous faites, vous autres. Vous ne voulez pas reconnaître Jupiter générateur, Cérès législatrice, Neptune père nourricier des plantes. C’est cette séparation de mots qui est mauvaise, qui remplit la vie de dédain irréligieux et de témérité. En arrachant les qualifications jointes avec les noms des dieux, vous supprimez en même temps sacrifices, mystères, pompes et fêtes. À qui, en effet, offrirons-nous le sacrifice des « préliminaires du labour », le sacrifice de la vie sauve » ? Comment célébrerons-nous des Phosphories, des Bacchanales, des fiançailles de mariage, si nous ne laissons pas subsister des bacchantes, des porteurs de lumières, des Génies préparateurs de moissons, des Génies sauveurs ? C’est là ce qui touche aux intérêts les plus capitaux, les plus graves. C’est là que l’erreur porte sur des faits, et non pas sur quelques expressions, sur l’ordre de certains mots, ou sur leur acception ordinaire. Que si les mots sont destinés à porter le trouble dans la vie, qui plus que vous autres pèche contre la langue ? Vous supprimez les mots abstraits, qui pourtant constituent la substance du discours, pour garder seulement les sons et les objets, et vous prétendez que les appellations intermédiaires qui désignent ces objets, appellations d’où dérivent nos moyens d’instruction, tels que les enseignements, les notions préliminaires, les conceptions,

  1. Cette petite phrase n’est pas dans le texte.