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CONTRE COLOTÈS.

Quand les fleuves sont grossis, nous les traversons sur des esquifs ; quand ils sont guéables, nous les passons à pied » ; après, dis-je, avoir avancé cette proposition, Colotès s’écrie : « En vérité, Socrate, tu t’es étudié à tenir des discours bien impertinents ! Tu parlais d’une certaine façon à ceux qui venaient te trouver, et tu agissais d’une autre. » En effet, comment les propos de Socrate n’eussent-ils pas été impertinents[1] ? Il répétait qu’il ne savait rien, mais qu’il s’instruisait toujours, et que toujours il cherchait la vérité. Que serait-ce donc, ô Colotès, si tu étais tombé sur des paroles de Socrate semblables à celles qu’Épicure écrit à Idoménée : « Envoyez-nous les prémices de vos offrandes pour le soin de notre personne sacrée : envoyez-les en votre nom et au nom de vos enfants. C’est en de tels termes que mon inspiration me prescrit de vous parler » ? Aurais-tu employé des expressions plus grossières ? Pour ce qui est de la contradiction entre les paroles et les actes de Socrate, tu en as de merveilleux témoignages à fournir. Montre-nous-le à Délium, à Potidée, sous la tyrannie des Trente, devant Archélaüs, devant le peuple ; fais-nous voir sa pauvreté, sa mort. Il n’y a rien là, n’est-il pas vrai[2] ? qui soit digne des discours que tenait Socrate. Sais-tu, mon cher, à quel titre tu aurais pu accuser Socrate de parler d’une façon et d’agir d’une autre ? Ç’eût été, s’il avait vécu comme il l’a fait et si en même temps il avait établi en principe que la vie agréable est la fin dernière.

19. Voilà ce qui regarde les imputations calomnieuses. Mais les reproches adressés par lui à Socrate touchant la théorie de l’Évidence, sont en tout point applicables à Colotès lui-même, et il ne s’en aperçoit pas. En effet c’est un des dogmes d’Épicure « que personne, si ce n’est le sage, ne saurait avoir une conviction sur laquelle il n’ait jamais à revenir. » Dès lors, puisque Colotès n’était pas sage[3], même après avoir prodigué les adorations dont il a été

  1. Ceci, bien entendu, est dit ironiquement.
  2. L’ironie se continue.
  3. Nous avons vu plus haut qu’Épicure n’avait pas donné à Colotès le nom de sage : no 17, page 616, au bas de la page.