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CONTRE COLOTÈS.

maintenant à Parménide. Il a, si l’on croit Colotès, avancé des sophismes honteux. Est-ce à dire qu’il ait enlevé à l’amitié son lustre, qu’il ait enhardi la passion du plaisir, dépouillé le beau des attraits qui le rendent précieux et désirable, qu’il ait troublé les croyances admises touchant les Dieux ? Non ; il a dit simplement : « L’univers est un », et je ne vois pas comment cette proposition nous empêche de vivre. Toutes les fois qu’Épicure déclare que « l’univers est infini, incréé, impérissable, qu’il ne s’augmente ni se diminue jamais », ce philosophe parle de l’univers comme de quelque chose qui est un. De plus, au commencement de son traité, lorsqu’il dit que « la nature[1] se compose de corps et de vide », c’est en la considérant comme unique qu’il la divise en deux parts, dont l’une, à proprement parler, n’existe point, et par vous autres est appelée impalpable, vide et incorporelle. De sorte que pour vous aussi l’univers est un. À moins que vous ne teniez à parler du vide en termes vides, et que vous ne vous battiez contre des ombres en attaquant les anciens. « Mais, dit Colotès, les corps, selon la doctrine d’Épicure, sont infinis en nombre, et c’est d’eux qu’est composée chacune des substances qui frappent nos regards. » Voyez bien quels principes de génération vous admettez. Ces principes ne sont autres que l’infini et le vide : le vide, privé d’action, impassible, incorporel ; l’infini, où rien n’est réglé, rien n’est raisonné, l’infini, qui est insaisissable, qui se décompose et se trouble soi-même, parce que sa multiplicité ne peut être ni maîtrisée ni définie. Mais Parménide, du moins, n’a supprimé ni feu, ni eau, ni précipice, ni, quoi qu’en dise Colotès, aucune des villes qui sont habitées en Europe et en Asie. Parménide organise parfaitement un monde[2]. Il combine deux éléments, la lumière et les ténèbres, desquels et par lesquels il fait naître tout ce qui se montre à nos yeux. En effet il parle longuement de la terre, du ciel, du

  1. Mot à mot « la nature des êtres », comme en latin natura rerum.
  2. Amyot :« il dit que le monde est Jupiter ? » ( ?)