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dans le timée.

qui est bon, ni celui qui est privé de toute qualité, aient déterminé l’existence et la naissance de quelque chose de mal. Platon ne s’est pas placé dans la position où se sont mis ses successeurs. Il n’a pas, comme eux, négligé de reconnaître un troisième principe, un troisième pouvoir intermédiaire entre la matière et Dieu. Dès lors il n’a pas été obligé d’admettre la plus absurde des conséquences, d’après laquelle, je ne sais comment, la nature des maux provient du hasard et d’un accident. Ces gens-là n’accordent pas à Épicure la moindre déclinaison d’un seul atome, sous prétexte qu’Épicure introduit du néant un mouvement qui n’a pas de cause première ; et eux-mêmes, quand ils constatent combien il y a de méchanceté et de misère, quelles innombrables imperfections, quelles difficultés, sont d’ailleurs inhérentes au corps sans qu’aucun des principes de leur philosophie en explique la cause, eux-mêmes n’en prétendent pas moins que ces imperfections résultent d’un enchaînement mutuel.

7. Or Platon ne pense pas ainsi. Enlevant à la matière toute possibilité de subir des modifications qui la diversifient, et reculant bien loin de Dieu toutes sortes de maux, voici ce qu’il a écrit touchant le monde dans le Politique[1] : « De la main souveraine qui l’a composé, le monde a reçu tout ce qu’il a de beau. Mais c’est de son état antérieur que ce même monde a apporté tout ce qu’il se trouve y avoir de fâcheux et d’injuste dans le ciel, et il en communique l’effet aux êtres animés. » Puis un peu plus loin : « À mesure que le temps s’avance, dit-il, et que l’oubli gagne, on sent que plus de force revient à l’antique élément de désordre ; et il est très-possible que le monde, venant à se désorganiser, s’anéantisse de nouveau dans l’abîme immense de son irrégularité première. » Or on ne saurait comprendre qu’il y ait irrégularité dans la matière, si elle n’a ni qualités, ni différences. Pour avoir avec plusieurs autres méconnu cette vérité, Eudème se permet à l’égard de Platon le

  1. Chap. xvi. (Éd. Didot, vol. I, p. 586 ; Traduction de M. Cousin, vol. XI, p. 37 et suiv.)