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de la création de l’âme

Ce vaste ensemble qui comprend tout, cette matière avait la grandeur, l’étendue, l’espace ; mais la beauté, la forme, la symétrie des figures lui manquaient. Il y fut pourvu, afin que la terre, le ciel, les astres, les plantes, les animaux, enfin les corps et les agents de toute espèce, se trouvassent organisés. Ceux qui attribuent à la matière et non pas à l’âme ce que dans le Timée Platon appelle « nécessité », et ce que dans le Philèbe il nomme « infinité et incommensurabilité de plus et de moins, d’excès et de défaut », ceux-là, comment s’accommoderont-ils de ces paroles que répète sans cesse le philosophe : « La matière est sans forme, sans figure, dénuée de toute qualité, de toute puissance : elle ressemble aux huiles sans odeur que les parfumeurs emploient pour les teintures » ? Car il n’est pas possible que Platon pose en principe que ce qui est de soi sans qualité, sans action, sans détermination aucune, puisse être une cause ou un principe de mal, et qu’en même temps il appelle cela une infinité honteuse et malfaisante, puis, encore, une nécessité souvent rebelle à Dieu dont elle rejette le frein.

Examinons un peu cette nécessité, cette concupiscence innée qui, comme il est dit dans le Politique de Platon, « bouleverse le ciel et le retourne en sens contraire ». Examinons cet état de la nature primitive, de la nature d’autrefois, laquelle était livrée au plus grand désordre avant d’être devenue le monde d’aujourd’hui. Eh bien, cette nécessité, cette concupiscence, cette confusion, comment se sont-elles trouvées être contenues dans les choses, si le sujet sur qui elles avaient à s’exercer était une matière sans qualité, dénuée de toute cause efficiente, en même temps que l’ouvrier était bon, en même temps qu’il voulait le plus possible rendre tout semblable à soi-même ? Car en dehors de ces deux principes, il n’y a point de place pour un troisième. Voilà les impossibilités stoïciennes qui nous saisissent, si nous introduisons le mal en le faisant naître du néant, c’est à-dire sans cause et sans création. En effet, des deux principes qui existent il n’est pas possible que ni celui