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dans le timée.

était frappé de paralysie et d’irréflexion. C’était le désordre de l’âme privée de raison. Car Dieu n’a pas fait corps ce qui est incorporel, ni âme ce qui est inanimé. Mais comme nous demandons à un homme habile dans la science de l’harmonie et du rhythme non pas qu’il crée les voix ni les mouvements, mais qu’il assujettisse seulement les voix à l’harmonie et les mouvements au rhythme ; de même Dieu n’a pas fait que les corps fussent tangibles et résistants, que l’âme eût la faculté d’imaginer et celle d’imprimer le mouvement. Il a pris ces deux principes, l’un, à savoir le corps, quand il était obscur et ténébreux, l’autre, à savoir l’âme, quand elle était livrée au trouble et à la déraison. Il leur manquait le complément nécessaire, ils étaient indéterminés. Dieu y porta la régularité, l’ordre, l’harmonie, et il en a composé l’être vivant le plus beau et le plus parfait qui existe. De sorte que la substance du corps n’est rien autre chose que ce que notre philosophe appelle la nature, centre commun de tout, base, élément nourricier de ce qui est engendré.

6. Quant à la substance de l’âme, Platon dans le Philèbe l’appelle une infinité, un manque de nombre et de mesure, état qui n’a en soi nul terme, nulle mesure de défaut ou d’excès, de différence et de dissemblance. Quand il est dit dans le Timée, que cette substance mêlée à la nature indivisible devient divisible dans les corps, il ne faut pas entendre par là qu’il s’agisse de longueur et de largeur : ce qui convient à des corps plutôt qu’à l’âme. Il faut comprendre qu’il est question de ce principe désordonné et infini, mais en même temps tirant de soi son mouvement et le communiquant au dehors, principe qu’en plusieurs endroits Platon appelle nécessité, et auquel dans ses Lois il donne ouvertement le nom d’âme déréglée et malfaisante. L’âme était, en effet, telle de sa nature ; mais elle reçut une part de sens, de raisonnement, d’harmonie intelligente, de manière à devenir l’âme du monde[1].

  1. Platon, ainsi qu’on le voit, suppose un chaos primitif, au moral comme au physique.