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de la création de l’âme

qu’elle a, dès lors, l’initiative de tout changement, de tout mouvement, qu’elle est constituée guide, et, pour me servir de ses paroles, agent premier. Or qu’est l’âme, qu’est le corps, pour que l’on dise de celle-là qu’elle marche avant celui-ci et qu’elle lui est antérieure ? C’est ce que démontrera la suite de ce discours. Car l’ignorance de cette première thèse semble avoir jeté le plus d’incertitude et d’invraisemblance possible sur la doctrine vraie.

5. Premièrement donc j’exposerai quelle est mon opinion sur cette matière, en me guidant sur la vraisemblance et en me faisant pardonner, autant que possible, ce qu’il y aura de nouveau et d’étrange en apparence dans mes paroles. Ensuite je prendrai le texte lui-même, et j’y appliquerai mon commentaire et mes démonstrations. Voici, au moins à mon sens, le véritable état des choses. « Ce monde que vous avez sous les yeux, dit Héraclite, n’est l’ouvrage ni d’aucun dieu, ni d’aucun homme. » On dirait qu’Héraclite a craint, que si nous n’y voulions pas reconnaître la main d’un dieu, nous ne vinssions à soupçonner que le monde fût l’œuvre d’un homme. Il vaut donc mieux croire Platon. Il vaut mieux dire et proclamer[1] avec lui que le monde est la création d’un dieu, puisque le monde est la plus belle chose qui existe, et que Dieu est le plus excellent des créateurs ; il vaut mieux dire avec Platon, que la substance, la matière dont ce même monde se compose, n’a pas été engendrée ; que toujours soumise à l’immortel ouvrier, celui-ci l’a disposée, l’a réglée, l’a façonnée à sa propre ressemblance, autant qu’elle en était susceptible. Car ce n’est pas du néant que s’est produite la création du monde, mais du désordre et de l’imperfection, comme il arrive pour une maison, pour un vêtement, pour une statue. Tout n’était que confusion avant la création du monde ; et qui dit confusion, ne dit pas absence de corps, de mouvement, d’âme. Dans un pareil état, ce qui était corps manquait de forme et de consistance ; ce qui était destiné à imprimer le mouvement

  1. Le texte dit : « chanter. »