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quand il est en possession de ce qui lui paraît être le succès. En raison de cela, c’est chose embarrassante de donner aux princes des conseils sur l’art de régner : car ils ont peur d’accueillir la raison comme maîtresse de leurs actes, et ils ne veulent point qu’en les asservissant aux lois du devoir elle porte atteinte au privilège de leur toute-puissance. Ils ne pensent pas comme Théopompe le roi des Spartiates, qui le premier dans Sparte associa les Éphores à l’exercice du pouvoir royal. De quoi sa femme étant venue à lui faire reproche, sous prétexte qu’il laisserait à ses enfants un pouvoir moindre que celui qu’il avait reçu : « Ce pouvoir en sera plus grand, répondit-il, parce qu’il sera plus assuré. » C’est que, en effet, ôtant à sa puissance ce qu’elle avait d’excessif et d’absolu, Théopompe la mettait à l’abri de la haine, et par cela même de tout danger. Il est bien vrai qu’en faisant dériver à des collègues une partie de son autorité, comme s’il se fût agi du courant d’un grand fleuve, il retranchait de ses prérogatives tout ce qu’il abandonnait à d’autres. Mais quand la raison éclairée par la philosophie fait élection de domicile chez un prince, qu’elle s’assied à ses côtés, qu’elle veille sur ses actes, le débarrassant de l’excès du pouvoir, comme s’il s’agissait d’un embonpoint exagéré, dès ce moment elle ne lui en laisse que la partie saine.

[2] Dans leur folie, la plupart des rois et des gouvernants imitent les statuaires sans mérite, qui croient que tels colosses paraîtront grands et forts s’ils les représentent ayant les jambes très écartées, les bras tendus, la bouche béante. Ces princes se figurent que la gravité de leur voix, la dureté de leur regard, la difficulté de leur humeur, leur isolement habituel, donneront du poids et de l’éclat à leur autorité. Or, je ne fais aucune différence entre eux et ces gigantesques effigies qui ont à l’extérieur une apparence héroïque, une majesté de dieux, mais qui au dedans sont remplies de terre, de pierres et de plomb. Seulement, pour les