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de cette même Chio. Philippe, fils de Démétrius, assiégeait la ville. Une proclamation aussi barbare qu’insolente fut par lui publiée. Il promettait aux esclaves qui passeraient à lui de leur rendre la liberté et de les unir aux dames à qui ils appartenaient, s’engageant ainsi à marier chacun d’eux avec la femme de son maître. Elles en concurent un dépit terrible et farouche. Secondées des esclaves eux-mêmes qui, partageant leur indignation, se joignirent à elles, on les vit s’élancer sur les remparts. Là elles apportaient des pierres et des traits aux combattants, et les animaient de leurs exhortations et de leurs instances. À la fin elles luttèrent personnellement, et faisant pleuvoir une grêle de projectiles sur les ennemis, elles repoussèrent Philippe, sans qu’un seul de tous les esclaves fût passé de son côté.


ARGIENNES.

À aucun des actes accomplis en commun par des femmes ne le cède, comme exploit glorieux, la lutte que les Argiennes, sous la conduite de la poétesse Télésilla, engagèrent contre Cléomène[1]. Issue, dit-on, d’une famille illustre, elle était d’une constitution maladive. Elle envoya donc demander aux dieux comment elle pourrait recouvrer la santé, et il lui fut répondu par l’oracle qu’elle eût à cultiver les Muses. Docile à l’ordre du dieu, elle se mit à composer des odes et de la musique. Dès lors elle fut en peu de temps délivrée de ses souffrances, et son talent poétique devint l’objet de l’admiration de ses concitoyennes[2]. Cependant Cléomène, roi des Spartiates, ayant mis à mort un grand nombre d’Argiens (non pas toutefois sept mille sept cent soixante-dix-sept, comme quelques-uns l’avancent fabuleusement), marchait contre la ville[3]. A.ce moment une ardeur et une audace toute divine s’empara des femmes qui étaient à la fleur de l’âge, et elles résolurent de sauver

  1. Amyot ajoute : « roy de Lacedæmone. »
  2. Amyot : « Et elle devint très renommée entre les femmes. »
  3. Amyot ajoute : « espérant la surprendre vuide d’habitants. »