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ÉCOUTE LA LECTURE DES POËTES.

Il cessera de pleurer[1] à la vue d’Achille prématurément ravi et d’Agamemnon descendu aux Enfers, lorsque tous les deux, par désir de vivre, tendent des bras faibles et impuissants. Si quelquefois il se sent troublé par l’émotion et que le poison triomphe de lui, il n’hésitera pas à se dire à soi-même :

Aspire sans retard à revoir la lumière,
Et ces divers tableaux, dont tu te souviendras,
A Pénélope un jour tu les raconteras[2].

Car c’est fort ingénieusement qu’Homère parle ainsi à propos de son évocation des mânes, disant que ce sont là toutes choses destinées à des oreilles de femmes, en raison du fabuleux que contiennent ces récits. Voilà dans quelles occasions les poëtes mentent de parti pris.

Mais le plus souvent[3] ils ne se forgent pas eux-mêmes ces chimères : ils y ajoutent foi, ils les acceptent, et nous font voir le mensonge avec les couleurs sous lesquelles ils le voient eux-mêmes. Tel est Homère, quand il dit du souverain des Cieux :

Dans la balance il met les deux chances de mort :
Un plateau, c’est Achille, et l’autre, c’est Hector.
Puis il la maintient droite. Hector bientôt s’abaisse
Vers le gouffre, et dès lors Apollon le délaisse[4].

Sur ce mythe Eschyle a composé une tragédie entière, qu’il a intitulée Psychostasie[5]. Il représente Jupiter tenant ses balances, et auprès de lui, d’un côté Thétis et de l’autre l’Aurore[6], éplorées et lui adressant des prières pour leurs fils qui combattent. Il est évident pour tout le monde que dans cet exemple particulier il faut voir purement une fable,

  1. Amyot a-t-il compris ? « Aussi réprimera-t-il les larmes d’Achille trépassé, et d’Agamemnon » etc.
  2. Odyssée, XI, 222 : Descente d’Ulysse aux Enfers.
  3. Ici se place le développement de la seconde proposition, consacrée aux poëtes qui mentent de bonne foi, et qui croient à leurs propres fictions.
  4. Iliade, XXII, 210.
  5. Ou « équilibre des âmes ». Cette tragédie, si tragédie il y a, n’existe plus.
  6. La mère de Memnon.