Page:Plus loin, revue mensuelle, numéro 3, 15 mai 1925 (extrait).djvu/6

Cette page n’a pas encore été corrigée

avec son avis, à Pétersbourg pour y être ratifiées. Ainsi des rudiments d’autonomie faisaient leur apparition. Mais, bien entendu, les bonnes intentions de Speransky n’ont abouti à rien. Lui-même est bientôt tombé en disgrâce et les fonctionnaires pétersbourgeois n’ont voulu, comme cela arrive toujours, rien abandonner de leur pouvoir. Et on a fini par tout régler dans les bureaux de Pétersbourg. Inutile de raconter comment, dans ces conditions, était administrée la Sibérie et comment toutes les réformes qui n’intéressaient pas les fonctionnaires pétersbourgeois restaient à dormir dans les cartons pendant des dizaines d’années.

Il en a été ainsi jusqu’à l’époque la plus récente. Il en est de même maintenant. La centralisation n’est pas la plaie de la seule autocratie. Elle a perdu et elle perd les colonies françaises et allemandes ; tandis qu’à côté d’elles, les colonies anglaises prospèrent, parce qu’elles jouissent d’une large autonomie se transformant peu à peu en fédération.

La Finlande, enfin, nous offre l’exemple le plus terrible. J’ai, en 1871, beaucoup voyagé en Finlande, souvent à pied, en ma qualité de géologue, et je me suis trouvé en rapport, pour mes travaux géologiques, avec ses diverses administrations : des chemins de fer, des canaux, de l’arpentage ; je ne pouvais pas admirer assez le travail accompli dans tous ces domaines par ce pays à la nature pauvre, avec son budget modeste et les traitements plus que modestes payés à ses fonctionnaires. Et je ne pouvais me réjouir assez de l’amour pour le pays qui inspirait tous ces travaux.

À cette époque, la Finlande possédait ses propres chemins de fer, qu’elle avait construits elle-même depuis fort longtemps, ses postes et ses télégraphes à elle, ses propres finances (en excellent état), sa dette publique (très petite), ses droits d’importation et son armée.

Les Russes ne jouissaient pas d’une grande sympathie en Finlande, surtout dans sa partie orientale : le souvenir des guerres avec la Russie au début du XIXe siècle et du refus de Nicolas II de reconnaître la constitution finlandaise était encore présent dans les mémoires ; mais Alexandre II était aimé, à Helsingfors surtout, et lorsque la guerre avec la Turquie a commencé, en 1878, l’armée finlandaise (huit bataillons de tirailleurs) est allée à la bataille avec enthousiasme et s’est toujours distinguée dans les combats. Rien de tout cela n’a subsisté après qu’Alexandre III, encouragé par le parti de Katscoff — celui des usiniers moscovites — et Nicolas II, poussé par le jésuite Pobedonostzeff, eurent supprimé l’autonomie finlandaise et mis la main jusque sur l’enseignement dans ses universités.

Ce n’est pas tout. Les mesures oppressives à l’égard des universités ont fait que des milliers de jeunes gens finlandais sont allés faire leurs études dans les universités allemandes, et nous en voyons maintenant le résultat : ils sont en train, dans les rangs des gardes blancs, de conquérir la Finlande pour l’Allemagne !


Pierre Kropotkine