Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/536

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
475
LIVRE SEPTIÈME.

admiration : car la pensée est un mouvement, et l’âme souhaite de n’en avoir aucun. Elle n’affirme même pas que c’est l’Intelligence qu’elle voit, quoiqu’elle ne contemple que parce qu’elle est devenue intelligence, qu’elle est en quelque sorte intellectualisée (νοωθεῖσα (noôtheisa)) et établie dans le lieu intelligible. Arrivée à l’Intelligence, établie en elle, l’âme possède l’Intelligible et pense ; mais dès qu’elle a l’intuition du Dieu suprême, elle abandonne tout le reste. Elle fait comme le visiteur qui, en entrant dans un palais, admire d’abord les diverses beautés qui en ornent l’intérieur, mais qui ne les regarde plus dès qu’il aperçoit le maître : car le maître, supérieur par sa nature à toutes les statues qui ornent le palais[1], absorbe l’admiration et mérite seul d’être vraiment contemplé ; aussi le spectateur, l’œil attaché sur lui, le considère-t-il seul désormais. À force de contempler continuellement le spectacle qu’il a devant lui, il ne le voit plus ; la vision se confond en lui avec l’objet visible ; ce qui était d’abord l’objet visible pour le spectateur passe en lui à l’état de vision, et lui fait oublier tout ce qu’il voyait autour de lui. Pour que cette comparaison soit juste, il faut que le maître qui se présente ici au visiteur ne soit pas un homme, mais un Dieu, et que ce Dieu ne se contente pas d’apparaître aux yeux de celui qui le contemple, mais qu’il pénètre son âme et la remplisse tout entière.

L’intelligence a deux puissances : par l’une, qui est la puissance propre de penser, elle voit ce qui est en elle ; par l’autre, elle aperçoit ce qui est au-dessus d’elle à l’aide d’une sorte d’intuition et de perception : par cette intuition, elle voyait d’abord simplement ; puis, en voyant, elle a reçu l’intellection et elle s’est identifiée à l’Un. Le premier mode de contemplation est propre à l’intelligence qui possède encore la raison, le second est l’intelligence transportée d’amour.

  1. Le palais est le monde intelligible ; les statues figurent les idées, et le maître, c’est Dieu.