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LIVRE TROISIÈME.

coexistent et y sont identiques[1]. Qui affirme donc ce qu’est l’intelligible ? La puissance qui le contemple, l’intelligence. Ici-bas, la vue voit la lumière parce qu’elle est elle-même lumière, ou plutôt parce qu’elle est unie à la lumière : car ce sont les couleurs qu’elle voit. Au contraire, l’intelligence ne voit pas par autrui, mais par elle-même, parce que ce qu’elle voit n’est pas hors d’elle. Elle voit une lumière avec une autre lumière, mais non par une autre lumière ; elle est donc une lumière qui en voit une autre ; par conséquent, elle se voit elle-même. Cette lumière, en brillant dans l’âme, l’illumine, c’est-à-dire, la rend intellectuelle, la rend semblable à la lumière supérieure [savoir à l’intelligence]. Si, par le rayon dont cette lumière éclaire l’âme, on juge de sa nature et qu’on la conçoive encore plus grande, plus belle, plus brillante, on s’approchera

  1. « Tu connais cette célèbre proposition que les philosophes ont énoncée à l’égard de Dieu, savoir qu’il est l’intellect, l’intelligent, et l’intelligible, et que ces trois choses, dans Dieu, ne font qu’une seule et même chose, dans laquelle il n’y a pas multiplicité… Comme il est démontré que Dieu (qu’il soit glorifié !) est intellect en acte, et comme il n’y a en lui absolument rien qui soit en puissance, de sorte qu’il ne se peut pas que tantôt il perçoive et tantôt il ne perçoive pas, et qu’au contraire il est toujours intellect en acte, il s’ensuit que lui et la chose perçue sont une seule et même chose, qui est son essence ; et que cette action de percevoir, pour laquelle il est appelé intelligent, est l’intellect même qui est son essence. Par conséquent, il est perpétuellement intellect, intelligent et intelligible. Il est clair aussi que si l’on dit que l’intellect, l’intelligent et l’intelligible ne forment qu’un en nombre, cela ne s’applique pas seulement au Créateur, mais à tout intellect. Dans nous aussi, l’intelligent, l’intellect et l’intelligible sont une seule et même chose, toutes les fois que nous possédons l’intellect en acte ; mais ce n’est que par intervalles que nous passons de la puissance à l’acte. » (Maïmonide, Guide des égarés, I, 68 ; trad. de M. S. Munk, t. 1, p. 301, 311.) Quant aux rapports que la doctrine de Plotin présente sur ce point avec celle d’Aristote, Voy. notre tome I, p. 360, note 3.