Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/725

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
675
THÉOPHRASTE.


dans le Timée, loue la venue de l’âme, admire le monde, le proclame un dieu bienheureux[1] et trouve bon que l’âme y soit présente ; il est persuadé et veut persuader aux autres que l’âme a été donnée au monde par un bon Démiurge : car il fallait que l’univers fût intelligent. ce qui était impossible sans une âme[2] ; il fallait aussi qu’il fût parfait, et il reçoit sa perfection des âmes particulières qui communiquent le mouvement au monde sensible, le contiennent, l’embellissent et l’ordonnent ; il en résulte qu’elles exécutent volontairement la volonté du Démiurge pour que son œuvre si belle ne reste pas imparfaite, puisqu’il veut que le monde sensible contienne en même nombre des essences semblables à celles que contient le monde intelligible[3]. Voilà ce que dit notre premier maître. Quant à son disciple Aristote, il professe une tout autre opinion : il nomme l’âme une entéléchie, pour indiquer qu’elle donne à la matière sa perfection (τὸ τέλειον (to teleion)[4]) et qu’elle n’est pas une forme immortelle ; il ne reconnaît comme immortelle que l’intelligence qui vient du dehors[5] (c’est l’expression qu’il emploie), c’est-à-dire l’âme qui vient de l’extérieur (ψυχὴ ἔξωθεν (psuchê exôthen)) : car, selon ce philosophe, l’âme ne possède pas par elle-même (οἴϰοθεν (oikothen)) la puissance d’être éclairée par les rayons de l’intelligence.

Euxithéus. Que tu es heureux, Théophraste. Malgré le nombre et la diversité des opinions professées par les anciens, tu n’en oublies aucune, tu les expliques toutes avec autant de clarté que si tu exposais tes propres idées au lieu de rapporter ce qu’ont enseigné les anciens. Tu parais avoir plus de mémoire qu’Hippias, et être prêt à répondre à toutes les questions[6]. Mais que ferai-je ? Je demeure incertain et je ne sais que devenir. Je me demande qui je dois suivre. Est-ce Héraclite, selon qui l’âme en fuyant dans cette vie y trouve une trêve aux travaux auxquels elle est soumise là-haut[7] ? ou Empédocle, qui précipite l’âme ici-bas en punition de ses fautes ? ou bien Platon, selon qui l’âme vient ici-bas tantôt pour subir un châtiment, tantôt pour rendre l’univers parfait, tantôt volontairement, tantôt involontairement, tantôt par contrainte, tantôt de son propre mouvement ? (Car je ne parle point d’Aristote qui, par une sagesse transcendante, refuse à l’âme l’immortalité.) Ces philosophes combattent chacun les opinions de tous les autres, et sont

  1. Voy. Platon, Timée, p. 34.
  2. Ibid., p. 30.
  3. Ibid., p. 89.
  4. Voy. ci-dessus Jamblique, De l’Âme, p. 634, note 2.
  5. Voy. ci-dessus, p. 638, note 7.
  6. Expressions empruntées à l’Hippias et au Banquet de Platon.
  7. πότερον Ἡραϰλείτῷ, ᾦ δοϰεῖ τῶν ἄνω πόνων τῆς ψυχῆς ἀνάαυλαν εῖναι τὴν εἰς τόνδε ϐίον φυγὴν (poteron Hêrakleitô, ô dokei tôn anô ponôn tês psuchês anaaulan einai tên eis tonde bion phugên) ; Voy. ci-dessus, p. 645, note 2, et p. 674.