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LETTRE SUR LE DESTIN.


IV. Pour me résumer, les mouvements produits dans le monde par le Destin[1] sont semblables aux actes et aux mouvements immatériels et intellectuels [du monde intelligible], et l’ordre du Destin offre l’image de l’ordre pur et intelligible. Les causes du second rang dépendent des causes supérieures, la multiplicité des choses engendrées se rapporte à l’Essence indivisible, de telle sorte que toutes les choses qu’embrasse le Destin sont liées à la Providence suprême. Le Destin est donc uni à la Providence par son essence même ; il en tient son existence ; il en dépend et s’y rapporte. Puisqu’il en est ainsi, le principe en vertu duquel nous agissons est en harmonie avec les deux principes de l’univers [le Destin et la Providence], mais il y a en nous une puissance d’action [l’âme raisonnable] qui est indépendante de la nature et ne subit pas l’influence du mouvement de l’univers. Elle n’est donc pas contenue dans le mouvement de l’univers : puisqu’elle ne dérive pas de la nature[2] ni du mouvement de l’univers, elle est plus ancienne, et, puisqu’elle ne nous est pas donnée par l’univers, elle est d’un ordre supérieur ; mais, comme elle a emprunté certaines parties à toutes les régions du monde ainsi qu’à tous les éléments[3], et qu’elle se sert de ces parties, elle est comprise elle-même dans l’ordre du Destin, elle y concourt, elle y remplit son rôle et en subit nécessairement l’influence. En tant que l’âme renferme en elle-même une raison pure, qui existe et se meut par elle-même, qui a en elle-même le principe de ses actes et est parfaite, elle est indépendante de tout ce qui l’entoure ; en tant qu’elle produit d’autres vies [les puissances sensitive et végétative] qui inclinent vers la génération et entrent en commerce avec le corps, elle se trouve liée à l’ordre de l’univers[4].

V. Si quelqu’un croit anéantir l’ordre en introduisant le Hasard et la Fortune, qu’il apprenne qu’il n’y a dans l’univers rien qui déroge à l’ordre, qui constitue un épisode, qui n’ait pas de cause, qui soit indéterminé et fortuit, qui ne provienne de rien et arrive par accident. La Fortune ne supprime pas l’ordre et la liaison des causes, ni l’union des principes, ni l’empire que les premiers prin-

  1. Nous lisons : αἱ μέν ϰινήσεις αἱ περὶ τὸν ϰόσμον τῆς πεπρωμένης (ai men kinêseis ai peri ton kosmon tês peprômenês), et nous rejetons la leçon τῇ πεπρωμένῃ (tê peprômenê) proposée par Heeren, qui n’a pas vu que les mots τῆς πεπρωμένης (tês peprômenês) dépendaient de ϰινήσεις (kinêseis).
  2. Nous ajoutons la négation οὐδὲ (oude) que le sens exige absolument.
  3. L’âme raisonnable a emprunté aux sphères célestes son corps éthéré et aux éléments son corps solide. Voy. ci-dessus p. 656. note 3.
  4. La doctrine exposée dans les § 2, 3, 4 est empruntée à Plotin, Enn. III, liv. I, § 9 et 10. Elle est parfaitement développée par Simplicius dans son Commentaire sur le Manuel d’Épictète, § 1.