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TROISIÈME ENNÉADE.


de peu d’importance dans l’enchaînement universel des causes et des effets, parce qu’au lieu de naître d’une semence [raison séminale], comme les autres choses, elle constitue une cause première (πρωτουργὸς αἰτία). Hors du corps, elle est maîtresse absolue d’elle-même, libre et indépendante de la cause qui administre le monde. Une fois qu’elle est descendue dans un corps, elle n’est plus aussi indépendante, parce qu’elle fait alors partie de l’ordre auquel les autres choses sont soumises. Or, comme les accidents de la fortune, c’est-à-dire les circonstances au milieu desquelles l’âme se trouve placée, déterminent beaucoup d’événements, tantôt l’âme obéit à l’influence des circonstances extérieures, tantôt elle les domine et elle fait ce qu’elle veut. Elle les domine plus ou moins selon qu’elle est bonne ou mauvaise. Cède-t-elle au tempérament du corps, elle est nécessairement livrée à la concupiscence ou à la colère, abattue dans la pauvreté, ou orgueilleuse dans la prospérité, ou tyrannique dans l’exercice du pouvoir. A-t-elle un bon naturel, elle résiste à tous ces mauvais penchants ; elle modifie ce qui l’entoure plutôt qu’elle n’en est modifiée elle-même ; elle change certaines choses et tolère les autres sans tomber elle-même dans le vice.

IX. Nous regarderons donc comme déterminées par une cause toutes les choses qui sont l’effet, soit d’un choix de l’âme, soit de circonstances extérieures. Que pourrait-on trouver hors de ces causes ? Embrassez en effet l’ensemble des causes que nous admettons, et vous aurez les principes qui produisent toutes les choses, pourvu que vous ayez soin de compter au nombre des causes extérieures l’influence qu’exerce le cours des astres[1]. Quand l’âme prend une dé-

  1. Dans un passage cité par Stobée (Eclogœ physicœ, I, 6, p. 187), Jamblique donne une définition du Destin qui peut servir de commentaire à cette phrase de Plotin : « Toute l’essence du Destin consiste dans la Nature. J’appelle Nature la cause qui est unie au monde et qui contient unies au monde toutes les causes de la génération, causes que les essences supérieures et ordonnatrices renferment en elles-mêmes séparées du monde. Ainsi, la vie corporelle, la raison génératrice, les formes unies à la matière, la matière elle-même, la génération qui est composée de ces choses, le mouvement qui transforme tout, la Nature qui administre avec ordre les choses engendrées, les principes de la Nature, ses fins, ses œuvres, l’enchaînement mutuel de ces choses, les phases par lesquelles elles passent depuis le commencement jusqu’à la fin voilà ce qui constitue le Destin. »