Quant aux facultés de la vie sensitive, dont le rôle est de faire connaître à l’âme le monde sensible, elles se trouvent, par le fait même de la mort, privées des conditions normales de leur exercice. En effet, pour que l’âme sente, il faut qu’il y ait un intermédiaire entre elle et l’objet sensible : sans organe, point de sensation. D’ailleurs, lors même que l’âme pure pourrait, sans le secours des organes, saisir encore les objets sensibles, elle les négligerait cependant pour s’appliquer à l’intuition des objets intelligibles : car, étant séparée du corps, elle n’aurait aucun intérêt à exercer ses sens puisqu’elle n’a plus besoin de veiller à la conservation du composé (t. II, p. 364-367). Elle n’exerce pas non plus imagination sensible, l’opinion, le raisonnement, non que ces facultés aient besoin du concours des organes, mais parce qu’elles opèrent sur les données de la sensation (t. I, p. 37 ; t. II, p. 299). Quant à la mémoire des choses sensibles, elle est également indépendante du corps, mais elle devient superflue dans cette nouvelle existence. Quand, étant encore ici-bas, l’âme désire vivre dans le monde intelligible, elle néglige tout ce qui est étranger à sa nature ; comment se rappellerait-elle encore les choses terrestres quand elle en est séparée ? Ce souvenir la ferait déchoir du haut rang auquel elle s’est élevée, en la rendant conforme aux objets inférieurs dont elle se représenterait les images (t. II, p. 329, 335). Il en résulte que, dans l’âme qui s’est élevée au monde intelligible, les facultés de la vie sensitive ne subsistent plus en acte, mais seulement en puissance (t. I, p. 364 ; t. II, p. 335-339).
Que fait donc l’âme pure qui est réunie à Dieu ? — Elle contemple les essences auxquelles elle est unie et y applique son attention. Elle n’a pas besoin du raisonnement ni du langage ; elle ne fait usage que de son intelligence et de sa raison : de son intelligence, pour saisir la totalité des intelligibles par une intuition également une et totale ; de sa raison, pour diviser et développer cette intuition une et totale, en considérant toutes les parties du spectacle multiple et varié dont elle jouit. Elle n’a pas besoin de la mémoire : car elle contemple un objet qui est toujours présent et qui ne change pas ; en outre, elle ne change pas elle-même. — Tout entière à la pensée, l’âme n’a pas non plus besoin de faire un retour sur elle-même pour se connaître. Elle se pense en pensant l’intelligible, dont elle a pris la forme et avec lequel elle s’est identifiée : d’un côté, par le regard qu’elle jette sur toutes choses, elle s’embrasse elle-même dans l’intuition de toutes choses ; d’un autre côté, par le regard qu’elle jette sur elle-même, elle embrasse toutes choses dans cette intuition. C’est de la même manière qu’elle connaît les autres âmes (t. II, p. 299-300. 330-339).