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LIVRE SEPTIÈME.


pas corporel. Puisque c’est la sensation qui saisit les objets sensibles, ce doit être de même la pensée (ou l’intellection, νόησις) qui saisit les objets intelligibles. Si on le nie, on admettra du moins que nous pensons certains intelligibles, que nous percevons des objets sans étendue. Comment une substance étendue penserait-elle ce qui n’a nulle étendue ? une substance divisible, l’indivisible ? Sera-ce par une partie indivisible ? Dans ce cas, le sujet pensant ne sera pas corporel : car il n’est pas besoin que le sujet soit tout entier en contact avec l’objet ; il suffit qu’il l’atteigne par une de ses parties[1]. Si donc on nous accorde comme reconnue cette vérité, que les pensées les plus élevées ont des objets tout à fait incorporels, il faut, pour les connaître, que le principe pensant soit ou devienne lui-même indépendant du corps[2]. Dira-t-on que la pensée a pour objet les formes

  1. Plotin se sert ici contre les Stoïciens de l’argumentation même d’Aristote contre Platon : « Si l’intelligence était une grandeur, comment penserait-elle ? Penserait-elle tout entière ou par une de ses parties ? Et ses parties auraient-elles de la grandeur ou seraient-elles réduites à un point, si toutefois on peut donner le nom de partie à un point ? Si elles sont réduites à être des points, comme les points sont infinis, il est évident que l’intelligence ne pourra jamais les parcourir ; et si elles ont de la grandeur, l’intelligence pensera la même chose fort souvent, ou plutôt un nombre infini de fois. Mais, pour penser, il semble qu’il suffise de toucher une seule fois. S’il suffit à l’intelligence, pour comprendre les choses, de les toucher par l’une de ses parties, à quoi bon alors la faire mouvoir en cercle, ou même lui donner absolument aucune grandeur ? » (De l’Âme, I, 3 ; p. 129 de la trad. de M. Barthélemy-Saint-Hilaire.)
  2. Voy. le passage d’Aristote cité dans le tome I, p. 346, et le fragment d’Ammonius traduit dans le tome I. p. XCVI. Saint Augustin oppose le même argument à Vincentius Victor : « Per hoc non habet [anima] ubi capiat imaginem Dei, manente in se ista imagine corporis ; nisi quemadmodum nummus, ut dixi, aliter ex inferiore, aliter ex parte superiore formetur. Ad ista te absurda, quando de anima cogitas, carnalis cogitatio corporum, velis nolisne, compellit. Sed Deus, ut etiam ipse rectissime con-