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QUATRIÈME ENNÉADE.


longtemps, bien qu’on ne l’ait pas d’abord retenue ? Ce n’est pas parce qu’on n’aurait d’abord retenu que quelques parties de l’image : car alors on se rappellerait ces parties. Au contraire, le souvenir se produit tout d’un coup à la suite de la dernière audition ou de la dernière réflexion. Ce fait montre assez qu’on ne fait qu’éveiller dans l’âme la faculté de la mémoire, que lui donner une nouvelle énergie, soit pour toutes choses en général, soit pour une en particulier[1]. La mémoire d’ailleurs ne nous rend pas seulement les choses auxquelles nous avons réfléchi ; elle nous suggère encore une foule d’autres souvenirs par l’habitude qu’elle a de se servir de certains indices dont il suffit de retrouver un seul pour se rappeler le reste facilement[2] : comment peut-on expliquer ce fait autrement qu’en admettant que la faculté de la mémoire s’est fortifiée ? La conservation d’images dans l’âme indiquerait plutôt de la faiblesse que de la force : car, pour recevoir plusieurs empreintes, il faut se prêter facilement à toute forme. Toute empreinte étant une passion, il s’ensuivrait que la mémoire serait proportionnée à la passivité. Or, c’est évidemment le contraire qui a lieu. Jamais un exercice, quel qu’il soit, ne rend l’être qui s’y livre plus

  1. « Memoriam a sensu voluntas avertit, quum in aliud intenta non ei sinit inhærere præsentia. Quod animadvertere facile est, quum sæpe coram loquentem nobis aliquem aliud cogitando non audisse nobis videmur. Falsum est autem : audivimus enim, sed non meminimus, subinde per aurium sensum labentibus vocibus alienato nutu voluntatis per quem solent infigi memoriæ. » (S. Augustin, De Trinitate, XI, 8.)
  2. C’est l’association des idées. Plotin résume ici la théorie d’Aristote sur ce point : « Ce qui fait que quelquefois on arrive à se souvenir au moyen des choses en apparence les plus étrangères, c’est que l’esprit passe rapidement d’une chose à une autre : par exemple, de l’idée du lait il passe à celle du blanc, du blanc à l’air, et de l’air à l’humidité ; et au moyen de cette dernière notion, il se rappelle l’automne. saison qui était précisément ce qu’on cherchait. » (De la Mémoire et de la Réminiscence, 2 ; p. 127 de la tr. fr.)