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SOMMAIRES.


(VI-VII) La lumière n’est ni un corps ni une modification de l’air : elle est l’acte du corps lumineux, sa forme et son essence[1]. Elle apparaît et disparaît avec lui ; elle modifie les objets éclairés sans s’y mêler, comme la vie est l’acte que l’âme produit dans le corps par sa présence. Quant à la couleur, elle résulte du mélange du corps lumineux avec la matière. Donc, dans tous les cas, la lumière est incorporelle quoiqu’elle soit l’acte d’un corps : elle subsiste aussi longtemps que lui, et cesse de se manifester dès qu’il disparaît.

(VIII) Ce qui rend possible toute perception en général, et la perception de la couleur en particulier, c’est que l’objet sensible et le sujet sentant appartiennent au même monde, qu’ils sont faits l’un pour l’autre et qu’ils constituent des parties d’un seul organisme. Supposez détruite la conformité de l’objet et du sujet, et ils ne sauraient plus entrer en rapport ; par conséquent, dans cette hypothèse, la perception est impossible.


LIVRE SIXIÈME.
DES SENS ET DE LA MÉMOIRE.

(I-II) La Sensation n’est pas une image imprimée à l’âme et semblable à l’empreinte d’un cachet sur la cire, mais un acte relatif aux objets qui sont de son domaine. Il faut ici distinguer la passion et la connaissance de la passion : la première est propre au corps, la seconde appartient à l’âme et constitue la Sensation.

(III) Il en est de même de la Mémoire : se souvenir, ce n’est pas garder une empreinte, mais réfléchir aux notions qu’on possède. Étant la raison de toutes choses, l’âme a l’intuition des choses intelligibles en s’y appliquant, en passant de la puissance à l’acte ; de même, elle a l’intuition des choses sensibles en éveillant les formes qu’elle en possède, en vertu de la puissance qu’elle a de les percevoir et de les enfanter[2]. Le souvenir a pour principe l’activité de l’âme, qui, après avoir considéré un objet avec attention, en reste longtemps affectée et se le rappelle ensuite quand elle y réfléchit.

En général, tous les phénomènes qui se produisent dans l’âme procèdent de facultés essentiellement actives ; c’est ce qui les distingue profondément des phénomènes sensibles, auxquels certains philosophes ont tort de les assimiler.


  1. Voy. ci-après Jamblique, Comm. du Traité d’Aristote sur l’Âme, § XIX, p. 663.
  2. Voy. ci-après Jamblique, ibid., § XVIII, XXIII, 662, p. 666.