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QUATRIÈME ENNÉADE.


auxquels la sensation n’est d’aucune utilité. Peut-être refusera-t-on de nous accorder ce point. En effet, la connaissance des objets sensibles offre, outre l’utilité, quelque chose des agréments des Muses : telle est, par exemple, la connaissance du soleil et des autres astres ; la contemplation en est agréable par elle-même. C’est donc une des choses que nous aurons ensuite à considérer.

Nous avons à chercher d’abord si la Terre a des sens, à quels animaux il appartient de sentir, et comment s’opère la sensation. Il semble nécessaire de commencer par discuter les points douteux que nous avons indiqués, et d’examiner en général si la sensation peut s’opérer sans organes, et si les sens ont été donnés pour l’utilité, en admettant même qu’ils puissent procurer quelque autre avantage.

XXIII. Sentir les choses sensibles, c’est pour l’âme ou pour l’animal percevoir en saisissant les qualités inhérentes aux corps et en se représentant leurs formes[1]. L’âme doit donc percevoir les choses sensibles ou seule ou avec le corps. Si l’âme est seule, comment y parviendra-t-elle ? Pure et isolée, elle ne peut que concevoir ce qu’elle a en elle-même, elle ne peut que penser[2]. Pour qu’elle conçoive alors aussi des objets autres qu’elle-même, il faut qu’elle les ait saisis antérieurement, soit en leur devenant semblable, soit en se trouvant unie à quelque chose qui leur soit devenu semblable.

  1. Pour la comparaison de la doctrine de Plotin sur la sensation avec celle d’Aristote, Voy. les Éclaircissements du tome I, p. 332-336.
  2. « Que si l’âme n’était simplement qu’intellectuelle, elle serait tellement au-dessus du corps qu’on ne saurait par où elle y devrait tenir ; mais parce qu’elle est sensitive, c’est-à-dire jointe à un corps et par la chargée de veiller à sa conservation et à sa défense, elle a dû être unie au corps par cet endroit-là, ou, pour mieux dire, par toute sa substance, puisqu’elle est indivisible et qu’on peut bien distinguer les opérations, mais non pas la partager dans son fond. » (Bossuet, De La Connaissance de Dieu et de soi-même, chap. III, § I.)