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LIVRE QUATRIÈME.


tière la passion produite dans le corps sans que pourtant elle l’éprouve elle-même[1].

En effet, sentant tout entière, elle localise la passion dans l’organe qui a reçu le coup et qui souffre. Si elle éprouvait elle-même la souffrance, comme elle est présente tout entière dans tout le corps, elle ne pourrait localiser la souffrance dans un organe ; elle éprouverait tout entière la souffrance ; elle ne la rapporterait pas à telle partie du corps, mais à toutes en général : car elle est présente partout dans le corps. Le doigt souffre, et l’homme sent cette souffrance, parce que c’est son doigt. On dit que l’homme souffre du doigt, comme on dit qu’il est bleu parce que ses yeux sont de cette couleur. C’est donc la même chose qui éprouve la passion et la souffrance, à moins que, par le mot souffrance, on ne désigne à la fois la passion et la sensation qui en est la suite ; dans ce cas, on veut dire uniquement par là que l’état de souffrance est accompagné de sensation. La sensation même n’est pas la souffrance, mais la connaissance de la souffrance. La puissance qui connaît doit être impassible pour bien connaître et bien indiquer ce qui est perçu[2]. Car si la faculté qui doit indiquer les passions pâtit elle-même, où elle ne les indiquera pas, où elle les indiquera mal.

XX. Il résulte de ce qui précède que c’est dans la partie commune et dans le corps vivant qu’il faut placer l’origine des appétits : (ἐπιθυμίαι). Désirer une chose et la rechercher n’appartient pas à un corps qui serait dans un état quelconque [qui ne serait pas vivant]. D’un autre côté, ce n’est pas l’âme qui recherche les saveurs douces ou amères, c’est le corps. Or le corps, par cela même qu’il n’est pas simplement un corps [qu’il est un corps vivant], se meut beaucoup plus que l’âme et est obligé de rechercher mille objets pour satisfaire ses besoins : il lui faut tantôt des

  1. Voy. ci-dessus, p. 129, note 2.
  2. Voy. ci-dessus, p. 123 et suiv.