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TROISIÈME ENNÉADE.


croire que ce principe n’est rien ? Sans doute ce principe n’est aucune des choses dont il est le principe : il est tel qu’on ne saurait en affirmer rien, ni l’être, ni l’essence, ni la vie, parce qu’il est supérieur à tout cela. Si vous le saisissez, en faisant abstraction même de l’être, vous serez dans le ravissement[1] ; en dirigeant vers lui votre regard, en l’atteignant et en vous reposant en lui, vous en aurez une intuition une et simple ; vous jugerez de sa grandeur par les choses qui sont après lui et par lui.

X. Voici encore une réflexion à faire. Puisque l’Intelligence est une intuition, une intuition en acte (ὄφις ὁρῶσα), elle est par cela même une puissance passée à l’acte. Il y aura donc en elle deux éléments qui joueront le rôle, l’un de matière (c’est-à-dire de matière intelligible)[2], l’autre de forme, comme dans la vision [sensible] en acte (ἡ ϰατ’ ἐνέργειαν ὅρασις)[3] : car la vision en acte implique aussi dualité. Donc l’intuition, avant d’être en acte, était unité. Ainsi l’unité est devenue dualité, et la dualité est unité. La vision [sensible] reçoit de l’objet sensible sa plénitude et en quelque sorte sa perfection. Pour l’intuition de l’Intelligence, le Bien est le principe qui lui donne sa plénitude. Si l’Intelligence était le Bien même, à quoi lui servirait son intuition ou son acte ? Les autres êtres en effet aspirent au Bien, et l’ont pour but de leur action ; mais le Bien même n’a besoin de rien ; il ne possède donc rien que lui-même[4].

  1. « Si subtrahantur aliæ visiones longe imparis generis, et hœc una rapiat, et absorbeat, et recondat in interiora gaudia spectatorem suum, etc. » (S. Augustin, Confessions, IX, 10.).
  2. Voy. Enn. II, liv. IV, § 3. t. I, p. 197.
  3. Plotin s’inspire ici d’Aristote qui compare l’intuition intellectuelle à la vision (Éthique à Nicomaque, I, 7 : ὡς γὰρ ἐν σώματι ὄψις, ἐν ψυχῇ νοῦς), et distingue également dans la vision la matière et la forme (De l’Âme, II, 1).
  4. Voici en quel sens le Bien ne possède rien que lui-même : « Possédant le rang suprême, ou plutôt étant lui-même Suprême, il domine toutes choses. Il n’est pas contingent pour elles ; ce sont elles qui sont contingentes pour lui, ou plutôt qui se rapportent