Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
TROISIÈME ENNÉADE.


templé. Comment se contemple-t-elle elle-même ? Elle n’a pas ce mode de contemplation qui procède de la raison [discursive], c’est-à-dire qui consiste à considérer discursivement ce qu’on a en soi. Comment se fait-il qu’étant une raison vivante, une puissance productrice, elle ne considère pas discursivement ce qu’elle a en elle ? C’est qu’on ne considère discursivement que ce qu’on ne possède pas encore[1]. Or, comme la Nature possède, elle produit par cela même qu’elle possède. Être ce qu’elle est et produire ce qu’elle produit sont en elle une seule et même chose[2]. Elle est contemplation et objet contemplé parce qu’elle est raison. Étant contemplation, objet contemplé et raison, elle produit par cela même qu’il est dans son essence d’être ces choses. L’action est donc évidemment, comme nous venons de le montrer, une contemplation : car elle est le résultat de la contemplation qui demeure immobile, qui ne fait rien que contempler et qui produit par cela seul qu’elle contemple.

III. Si quelqu’un demandait à la Nature pourquoi elle produit, elle lui répondrait, si elle voulait bien l’écouter et parler : « Il ne fallait pas m’interroger, mais comprendre,

  1. « Est-ce par le raisonnement que la Puissance principale de l’Âme forme l’Âme génératrice ? Si c’est par le raisonnement, elle doit considérer soit un autre objet, soit ce qu’elle possède en elle-même. Si elle considère ce qu’elle possède en elle-même, elle n’a pas besoin de raisonner : car ce n’est pas par le raisonnement que l’Âme façonne la matière, c’est par la Puissance qui contient les raisons. » (Enn. II, liv. III, § 17 ; t. I, p. 191.)
  2. On peut encore ici rapprocher Plotin d’Aristote. Selon ce philosophe, en effet, c’est la nature, c’est-à-dire l’âme nutritive et végétative, qui fait que chaque être produit un être semblable à lui-même. Quand les animaux se rapprochent, ils obéissent sans réflexion, sans délibération, sans choix à la nature, force aveugle elle-même, qui les pousse sans réflexion, sans délibération, sans choix. Voy. M. Ch. Lévêque : Le premier Moteur et la Nature dans le système d’Aristote, p. 48.