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TROISIÈME ENNÉADE.


universel des êtres intelligibles (πᾶσα ἐνόπτρισις) est devenue une grandeur, parce qu’elle a été illuminée par la grandeur même. Chaque partie est devenue une grandeur particulière ; et toutes choses ensemble ont paru grandes par la vertu de la forme universelle à laquelle appartient la grandeur. Il y a eu ainsi extension de chaque chose vers chacune des autres et vers l’ensemble. Cette extension a été nécessairement dans la forme et dans la masse aussi grande que la puissance l’a faite en amenant ce qui n’est rien en réalité à être toutes choses en apparence. C’est de la même manière que la couleur, qui est née de la non-couleur, et la qualité, qui est née de la non-qualité, ont reçu ici-bas le même nom (ὁμωνυμία)[1] que les choses intelligibles [dont elles sont les images]. Il en est de même pour la grandeur, qui est née de la non-grandeur, ou du moins de la grandeur qui porte le même nom [que la grandeur intelligible].

Les choses sensibles occupent ainsi un rang intermédiaire entre la matière et la forme même[2]. Elles apparaissent sans doute, parce qu’elles proviennent des essences intelligibles ; mais elles sont mensongères, parce que la matière dans laquelle elles apparaissent n’existe pas réellement[3]. Chacune devient une grandeur, parce qu’elle est étendue par la puissance des êtres qui apparaissent ici-bas et qui s’y font un lieu[4]. Il y a ainsi une extension produite en tous

  1. Voy. Platon, Phédon, p. 59, 75 ; Phèdre, p. 341, 346, 358  ; Théétète, p. 132.
  2. Voy. Enn. II, liv. VI, § 3 ; t. I, p. 241.
  3. « La forme des objets sensibles n’étant qu’une image [de la forme intelligible], leur matière n’est également qu’une image [de la matière intelligible], » (Enn. II, liv. IV, § 5 ; t. I, p. 200.)
  4. L’opinion de Plotin ressemble à celle de Leibnitz, selon qui l’espace est né avec le monde : « L’espace est l’ordre des coexistences. » (Lettres de Leibnitz à Clarke, III, § 4.) « L’espace est un ordre des situations… S’il n’y avait pas de créatures, il n’y aurait ni temps ni lieux, et par conséquent point d’espace actuel. » (Ibid., V, § 104, 106.)