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TROISIÈME ENNÉADE.


aussi les autres qualités qui en sont inséparables. La matière resterait ainsi ce qu’elle était primitivement par elle-même : elle ne garderait rien des choses qui existent en elle[1]. En effet, les objets qui sont susceptibles de pâtir par la présence d’objets contraires peuvent, quand ceux-ci s’éloignent, en garder quelque trace ; mais ce qui est impassible ne retient rien : par exemple, l’air pénétré par la lumière n’en garde rien quand celle-ci disparaît[2]. Si l’on s’étonne que ce qui n’a pas de grandeur puisse devenir grand, nous demanderons à notre tour comment ce qui n’a pas de chaleur peut devenir chaud. En effet, autre chose est pour la matière d’être matière, autre chose d’être grandeur ; la grandeur est immatérielle comme la figure. Si nous conservons la matière telle qu’elle est, nous devons dire qu’elle est toutes choses par participation. Or la grandeur fait partie de ce que nous nommons toutes choses. Les corps étant composés, la grandeur s’y trouve avec les autres qualités, sans y être cependant déterminée. En effet, la raison du corps contient aussi la grandeur[3]. La matière au contraire ne contient même pas la grandeur indéterminée, parce qu’elle n’est pas un corps[4] .

    quia non erat ubi fieret antequam fieret ut esset. » Confessiones, XI, 5.) Voy. encore ci-après, p. 164, note 4.

  1. Tel était, selon saint Augustin, l’état de la matière au moment où le monde fut créé ; « Quid autem in omnibus mundi partibus reperiri potest propinquius informitati omnimodæ quam terra et abyssus ? Minus enim speciosa sunt, pro suo gradu infime quam cetera superiora, perlucida et luculenta amnia. Cur ergo non accipiam informitatem materiæ, quam sine specie feceras, unde speciosum mundum faceres, ita commode hominibus intimatam, ut appellaretur terra invsibilis et incomposita. » (Confessiones, XII, 4.)
  2. La même comparaison se trouve dans un passage de saint Augustin que nous avons déjà cité (t. I, p. 254, note 8).
  3. Voy. ce que Plotin dit de la raison du corps ou corporéité dans l’Enn. II, liv. VII, § 2 ; t. I, p. 248-249.
  4. Voy. le passage de M. Ravaisson cité dans les Éclaircissements du tome I, p. 482.