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TROISIÈME ENNÉADE.


ce qui pâtit ; ce qui est soi-même une partie du feu ne saurait être enflammé. Soutenir le contraire, ce serait prétendre que l’airain a de lui-même formé une statue, ou que le feu s’est répandu de lui-même dans la matière et l’a enflammée. Veut-on qu’une raison [séminale] se soit approchée de la matière ? Comment cette raison l’aurait-elle enflammée ? Veut-on qu’une figure se soit unie à la matière[1] ? Mais, ce qui est enflammé est évidemment déjà composé de deux choses [d’une matière et d’une figure], et ces deux choses en forment une seule. Quoique ces deux choses en forment une seule, elles ne se font point pâtir l’une l’autre ; elles agissent seulement sur d’autres. Dans ce cas agissent-elles ensemble ? Non : seulement l’une empêche l’autre de fuir la forme. — Mais, [dira-t-on], quand le corps est divisé, comment la matière peut-elle n’être pas divisée aussi ? Comment, lorsque le composé [de forme et de matière] pâtit parce qu’il est divisé, la matière ne partage-t-elle pas cette passion ? — S’il en est ainsi, rien n’empêche de prétendre aussi que la matière est détruite et de dire : Pourquoi, puisque le corps est détruit, la matière ne serait-elle pas aussi détruite ? Ce qui pâtit et se divise doit être une quantité, une grandeur. Ce qui n’est pas une grandeur ne peut éprouver les mêmes modifications qu’une grandeur ; ce qui n’est pas un corps ne peut pâtir comme un corps. Donc ceux qui regardent la matière comme susceptible de pâtir seraient conduits à dire qu’elle est un corps.

XIII. Ils doivent en outre expliquer en quel sens ils disent que la matière fuit la forme. Comment petit-elle fuir les pierres et les choses solides qui la contiennent ? Car on ne saurait dire que tantôt elle fuit la forme, et tantôt ne la fuit pas. Si elle la fuit par sa volonté, pourquoi ne la fuit-elle pas toujours ? Si elle demeure [dans la forme] par nécessité, il n’est pas de moment où elle ne soit dans quelque

  1. Nous lisons avec M. Kirchhoff : ἢ εἰ σχῆμα, au lieu de ἢ εἰς σχῆμα.