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TROISIÈME ENNÉADE.


présentes, tandis que les choses qui entrent en elle pâtissent les unes par l’action des autres. Il faut admettre cependant que les choses qui entrent dans la matière en expulsent les précédentes, et que c’est le composé seul qui pâtit ; encore n’est-ce pas toute espèce de composé qui pâtit, mais celui qui a besoin de la chose introduite ou expulsée, qui est défectueux dans sa constitution par son absence et complet par sa présence. Quant à la matière, l’introduction de quelque chose que ce soit n’ajoute rien à sa nature : elle ne devient pas ce qu’elle est par la présence de cette chose, elle ne perd rien par son absence ; elle reste ce qu’elle était dès l’origine. Être orné est chose utile à l’objet qui a besoin d’ordre et d’ornement ; il peut recevoir cet ornement sans être altéré quand il ne fait que le revêtir en quelque sorte. Mais, si cet ornement pénètre en lui comme une chose qui fasse partie de son essence, il ne peut le recevoir alors sans être altéré, sans cesser d’être ce qu’il était auparavant, d’être laid par exemple, sans changer par le fait même, sans devenir, par exemple, beau de laid qu’il était. Donc si la matière de laide devient belle, elle cesse d’être ce qu’elle était auparavant, savoir, d’être laide, en sorte qu’en étant ornée elle perd son essence, d’autant plus qu’elle n’est pas laide par accident. Étant assez laide pour être la laideur même, elle ne saurait participer de la beauté ; étant assez mauvaise pour être le mal même, elle ne saurait participer du bien. Donc la matière participe aux idées sans pâtir ; par conséquent, cette participation doit s’opérer d’une autre façon, consister, par exemple, dans l’apparence (οἷον δοϰεῖν)[1]. Ce mode de participation résout la ques-

  1. Cette expression elliptique l’apparence s’explique par une phrase du § 12 : ἀλλ’ ἔχει ἔνδειξιν ἡ ὑπόθεσις, ὡς οἷον τε τῆς ἀπαθείας ϰαὶ τῆς οἷον εἰδώλων οὐ παρόντων δοϰούσης παρουσίας, « La proposition de Platon signifie que la matière est impassible et qu’il y a en elle présence apparente d’images qui n’y sont pas réellement présentes. » Voy. aussi § 13. La même idée se trouve dans le Timée, p. 50 :