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LIVRE SIXIÈME.


ne le possède pas en un autre : elle le possède, parce qu’elle le connaît ; elle ne le possède pas, en ce sens qu’elle n’en reçoit pas, en le voyant, une forme pareille à celle qu’un cachet imprime à la cire. Enfin, il faut ne pas oublier que la mémoire ne consiste pas à garder des impressions, mais que c’est la faculté qu’a l’âme de se rappeler et de se rendre présentes les choses qui ne lui sont pas présentes[1]. Mais quoi ? L’âme n’est-elle pas autre avant de réveiller un souvenir et après l’avoir réveillé ? Elle est autre, si l’on veut, mais elle n’est pas altérée, à moins qu’on ne nomme altération (ἀλλοίωσις) le passage de la puissance à l’acte. En tout cas, rien d’adventice ne s’introduit alors en elle, elle ne fait qu’agir selon sa propre nature.

En général, les actes des essences immatérielles n’impliquent en aucune façon que ces essences soient altérées (sinon elles périraient), mais tout au contraire qu’elles demeurent ce qu’elles sont. Il n’appartient qu’aux choses matérielles de pâtir en agissant. Si un principe immatériel était exposé à pâtir, il ne demeurerait plus ce qu’il est. Ainsi, dans l’acte de la vision, la vue agit, l’œil pâtit[2]. Quant aux opinions, ce sont des actes analogues à la vision.

  1. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XXV ; t. I, p. LXVII.
  2. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § VIII ; t. I, p. LX. S. Augustin a développé la même théorie sur l’impassibilité de l’âme dans son traité De la Musique (VI, 5) : « Videtur mihi anima, quum sentit in corpore, non ab illo aliquid pati, sed in ejus passionibus attendus agere, et has actiones sive faciles propter convenientiam, sive difficiles propter inconvenientiam, non eam latere ; et hoc totum est quod sentire dicitur. Sed iste sensus, qui, etiam dum nihil sentimus, inest tamen, instrumentum est corporis, quod ea temperatione agitur ab anima, ut in eo sit ad passiones corporis cum attentione agendas paratior, similia similibusut adjungat, repellatque quod noxiumest. Agit porro, ut opinor, luminosum aliquid in oculis, aerium, serenissimum et mobilissimum in auribus, caliginosum in naribus, in ore humidum, in tactu terrenum et quasi lutulentum. Sed, sive hac