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LIVRE SIXIÈME.
DE L’IMPASSIBILITÉ DES CHOSES INCORPORELLES[1].


I. Les sensations ne sont pas des passions (πάθη)[2], mais des actes, des jugements relatifs aux passions. Les passions se produisent dans ce qui est autre [que l’âme], c’est-à-dire dans le corps organisé, et le jugement, dans l’âme (car, si le jugement était une passion, il supposerait lui-même un autre jugement, et ainsi de suite à l’infini)[3]. En admettant cette vérité, nous avons cependant à exami-

  1. Ce livre comprend deux parties : 1o De l’impassibilité de l’âme, § 1-5 ; 2o De l’impassibilité de la matière et de la forme, § 6-19. Pour les autres Remarques générales, Voy. les Éclaircissements à la fin du volume.
  2. Plotin paraît combattre ici les Péripatéticiens et les Stoïciens, surtout ces derniers. En effet, d’un côté, Aristote dit dans le traité De l’Âme (II, 5) : « La sensation consiste à être mû et à pâtir ; elle paraît être une sorte d’altération que l’être supporte. » D’un autre côté, cette théorie de la passivité de la sensation, dont nous avons déjà parlé dans les Éclaircissements du tome I (p. 333, note 2), a été exagérée par les Stoïciens qui regardaient l’âme comme corporelle : selon Cléanthe, la sensation est une image imprimée sur nos organes par les objets extérieurs et semblable à l’empreinte d’un cachet sur la cire (Sextus Empiricus, Adv. Mathematicos, VII, 288) ; selon Chrysippe, qui rejette cette idée empruntée à Aristote (comme nous l’avons déjà dit, t. 1, p. 334), la sensation est une altération, c’est-à-dire une modification passive (Diogène Laërce, VII, § 50). Plotin traite la même question avec plus de développement dans le livre vi de l’Ennéade IV.
  3. Voy. les Éclaircissements du tome I, p. 326. Chrysippe disait que les passions sont des jugements (Diogène Laërce, VII, § 111).