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LIVRE QUATRIÈME.


intelligible : nous sommes liés par notre partie inférieure au monde sensible, et par notre partie supérieure au monde intelligible ; nous demeurons là-haut par ce qui constitue notre essence intelligible ; nous sommes attachés ici-bas par les puissances qui tiennent le dernier rang dans l’âme. Nous faisons passer ainsi de l’intelligible dans le sensible une émanation ou plutôt un acte qui ne fait rien perdre à l’intelligible[1].

IV. La puissance qui est l’acte de l’âme est-elle toujours unie à un corps ? Nullement. Quand l’âme se tourne vers les régions supérieures, elle y élève cette puissance avec elle. L’Âme universelle élève-t-elle aussi avec elle-même au monde intelligible la puissance inférieure qui est son acte [la Nature][2] ? Non : car elle n’incline pas vers sa partie inférieure, parce qu’elle n’est ni venue ni descendue dans le monde ; mais, tandis qu’elle reste en elle-même, le corps du monde vient s’unir à elle et s’offrir au rayonnement de sa lumière ; il ne lui cause pas d’ailleurs d’inquiétude, parce qu’il n’est exposé à aucun péril[3]. Quoi, le monde n’a-t-il point de sens ? « Il n’a point la vue, dit Timée : car il n’a point d’yeux. Il n’a pas non plus d’oreilles, ni de narines, ni de langue[4]. » A-t-il, commme nous, le sentiment de ce qui se passe en lui ? Comme toutes choses se passent en lui uniformément selon la nature, il est, sous ce rapport, dans une espèce de repos ; par conséquent il n’éprouve pas de plaisir. La puissance végétative est en lui sans y être présente ; il en est de même de la puissance sensitive. Au reste, nous reviendrons ailleurs sur le monde[5]. Pour le moment, nous en avons dit tout ce qui se rapporte à la question que nous traitons.

  1. Ce passage de Plotin est cité et commenté par le P. Thomussin, Dogmata theologica, t. I, p. 324.
  2. Voy. Plotin, t. I, p. 180,191.
  3. Ibid., p. 146, 262, 275.
  4. « Le monde n’avait nullement besoin d’yeux, puisqu’il ne restait rien de visible hors de lui-même, ni d’oreilles, puisqu’il n’y avait rien à entendre. Il n’y avait pas non plus d’air autour de lui qu’il eût besoin de respirer. » (Platon, Timée, p. 33 ; p. 93 de la trad. de M. H. Martin.)
  5. Voy. Enn. IV, liv. IV, § 26.