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TROISIÈME ENNÉADE.

sons contraires, et d’examiner pourquoi les raisons des êtres contiennent ainsi des contraires. Dans un concert, ces raisons produisent des sons graves et des sons aigus, et, en vertu de l’harmonie qui constitue leur essence, font concourir ces sons divers à l’unité, c’est-à-dire à l’harmonie même, raison suprême dont elles ne sont que des parties[1] ; de même, nous devons voir dans l’univers des oppositions, le blanc et le noir, le chaud et le froid, les animaux qui ont des ailes et ceux qui ont des pieds, les êtres raisonnables et les êtres dépourvus de raison. Toutes ces choses sont des parties de l’Animal un et universel. Or, si les parties de l’Animal universel sont souvent en lutte les unes avec les autres, celui-ci est dans un accord parfait avec lui-même parce qu’il est universel, et il est universel par la Raison qui est en lui. Il faut donc que l’unité de cette Raison soit composée de raisons opposées, parce que leur opposi-

  1. Plotin paraît faire ici allusion à un passage du Banquet de Platon (t. VI, p. 266 de la trad. de M. Cousin) : « Quant à la musique, il ne faut pas grande attention pour y reconnaître l’amour ; et c’est ce qu’Héraclite a peut-être senti, quoiqu’il ne se soit pas très-bien expliqué. L’unité, dit-il, en s’opposant à elle-même, produit l’accord, par exemple l’harmonie d’un arc ou d’une lyre. Il est absurde que l’harmonie soit une opposition, ou qu’elle résulte de choses opposées : mais apparemment Héraclite entendait que c’est de choses d’abord opposées, comme le grave et l’aigu, et ensuite mises d’accord, que la musique tire l’harmonie. En effet, tant que le grave et l’aigu restent opposés, il ne peut y avoir d’harmonie : car l’harmonie est une consonnance, la consonnance un accord, et l’accord ne peut se former de choses opposées, tant qu’elles demeurent opposées ; l’opposition, tant qu’elle ne s’est pas résolue en accord, ne peut donc produire l’harmonie. C’est encore de cette manière que les longues et les brèves, qui sont opposées entre elles, lorsqu’elles sont accordées, composent le rhythme ; et cet accord dans tout cela, c’est la musique qui l’établit, en unissant les opposés des liens de la sympathie et de l’amour. La musique est donc la science de l’amour en fait de rhythme et d’harmonie. »