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TROISIÈME ENNÉADE.

sache du moins que l’on est tombé dans des jeux (l’enfant où l’on a oublié son propre personnage. Si Socrate se mêle à ces jeux, ce n’est que l’homme extérieur qui y prend part en lui. Ajoutons enfin que les larmes et les gémissements ne prouvent pas que les maux dont on se plaint soient des maux bien réels : car souvent les enfants pleurent et se lamentent pour des maux imaginaires.

XVI. Si ce que nous avançons est vrai, comment y aura-t-il encore méchanceté, injustice, péché ? Car, si tout est bien, comment y a-t-il des agents qui soient injustes et qui pèchent ? Si nul n’est injuste ni ne pèche, comment y a-t-il des hommes malheureux ? Comment pourrons-nous dire que certaines choses sont conformes à la nature et que d’autres lui sont contraires, si tout ce qui est engendré, si tout ce qui se fait est conforme à la nature ? Enfin, comment l’impiété sera-t-elle encore possible à l’égard de Dieu, si c’est lui qui fait toutes choses telles qu’elles sont, s’il ressemble à un poëte qui introduirait dans son drame un personnage chargé de railler et de critiquer l’auteur ?

Déterminons donc avec plus de clarté ce qu’est la Raison [de l’univers] et montrons qu’elle doit être telle qu’elle est. Admettons l’existence de cette Raison pour arriver plus vite à notre but. Cette Raison [de l’univers] n’est point l’Intelligence pure, absolue. Elle n’est point non plus l’Âme pure, mais elle en dépend. C’est un rayon de lumière qui jaillit à la fois de l’Intelligence et de l’Âme unie à l’Intelligence. Ces deux principes engendrent la Raison, c’est-à-dire une Vie rationnelle tranquille[1]. Or, toute vie est acte[2], même celle qui occupe le dernier rang. Mais l’acte

  1. ζωὴν λόγον τινὰ ἡσυχῆ ἔχουσαν. Plotin veut dire que la Raison de l’Univers est une contemplation tranquille de l’Intelligence divine. Ce point est développé ci-après dans le livre VIII.
  2. « Ni la substance spirituelle, ni même la substance corporelle, ne cesse jamais d’agir. » (Leibnitz. Sur la notion de Substance.)