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LXXXVI
PORPHYRE.

vers ce qui nous est étranger et où nous ne trouvons que la plus complète pauvreté. Sinon, nous nous éloignons de l’Être, quoiqu’il soit près de nous : car ce n’est ni le lieu, ni la substance, ni un obstacle qui nous sépare de l’Être ; c’est notre conversion vers le non-être. Notre entraînement hors de nous-mêmes et notre ignorance de nous-mêmes sont ainsi une juste punition de notre éloignement de l’Être. Au contraire, l’amour que l’âme a pour elle-même la conduit à se connaître et à s’unir à Dieu[1]. Aussi a-t-on dit avec raison que l’homme est ici-bas dans une prison parce qu’il s’est enfui du ciel[2], et qu’il tâche de rompre ses liens : car, en se tournant vers les choses d’ici-bas, il s’est abandonné lui-même et s’est écarté de sa divine origine ; c’est, comme le dit [Empédocle], un fugitif qui a déserté la patrie divine[3]. Voilà pourquoi la vie de l’homme vicieux est une vie servile, impie et injuste, son esprit[4] est plein d’impiété et d’injustice. La justice, au contraire, consiste, comme on l’a dit avec raison, à ce que chacun remplisse sa fonction[5]. Rendre à chacun ce qui lui est dû, voilà l’image de la véritable justice.


  1. « Le zèle que nous mettons à accomplir le précepte Connais-toi toi-même nous conduit au véritable bonheur, dont les conditions sont l’amour de la sagesse, la contemplation du Bien qui est la source de la sagesse, enfin la connaissance des êtres qui existent réellement. » (Porphyre, Du précepte Connais-toi toi-même ; fragment cité par Stobée, Florilegium, Tit. XXI, p. 185, éd. Gesner.)
  2. Il y a ici dans le texte de Porphyre une lacune de quelques mots : ϰαὶ ὀρθῶς εἴρηται ὡς ἔν τινι φρουρᾷ… ἀποδιδράσϰοντα. Holstenius propose de suppléer ainsi cette lacune : « Quapropter recte dictum fuit veluti in quodam carcere inclusum animum in corpore, et vinculis ictic adstrictum teneri, ut solent mancipia fugitiva. » En comparant cette phrase de Porphyre au passage du Phédon de Platon auquel elle fait allusion, et dont on trouvera la traduction dans les Notes de ce volume (p. 440), nous croyons qu’il faut suppléer ἄνθρωπον θεόθεν ἀποδιδράσϰοντα : car Porphyre dit ensuite ἑαυτὸν θεῖον ὄντα ϰαταλελειπότος, et il est plus naturel de sous-entendre ἀνθρώπου que δούλου pour expliquer ϰαταλελειπότος. Voy. encore à ce sujet le § 1 du livre VIII de l’Ennéade IV.
  3. C’est une expression empruntée à Empédocle, comme on le voit par le § I du livre VIII de l’Ennéade IV, où Plotin cite ce passage d’Empédocle d’une manière plus complète.
  4. Sur l’esprit, πνεῦμα, Voy. plus haut, p. LXV.
  5. Au lieu de ἰδιοπραγία nous lisons οἰϰειοπραγία. Porphyre a dit ci-dessus que la justice consiste dans l’accomplissement par toutes les facultés de la fonction propre à chacune d’elles (p. LII) et que le propre de l’injustice est de ne pas accorder à l’âme et au corps ce qui convient à chacun d’eux (p. LIV, note 4).