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LXXIX
PRINCIPES DE LA THÉORIE DES INTELLIGIBLES.

hors de lui-même et un morcellement de sa puissance. Ce qui possède une puissance supérieure est étranger à toute étendue : car la puissance n’arrive à posséder toute sa plénitude qu’en se concentrant en elle-même ; elle a besoin de se fortifier pour acquérir toute son énergie. Aussi le corps, en s’étendant dans l’espace, perd-il de sa force et s’éloigne-t-il de la puissance qui appartient à l’être réel et incorporel ; mais l’être réel ne s’affaiblit pas dans l’étendue, parce que, n’ayant point d’étendue, il conserve la grandeur de sa puissance. De même que l’être réel n’a ni étendue ni volume par rapport au corps, de même l’être corporel est faible et impuissant par rapport à l’être réel. L’être qui possède la plus grande puissance n’occupe point d’étendue. Aussi, quoique le monde remplisse l’espace, qu’il soit uni partout à l’être réel, il ne saurait cependant embrasser la grandeur de sa puissance[1]. Il est uni à l’être réel, non par parties, mais d’une manière indivisible et indéfinie[2]. Donc l’incorporel est présent au corps, non d’une manière locale, mais par assimilation, en tant que le corps est capable d’être rendu semblable à l’incorporel et que l’incorporel peut se manifester en lui[3]. L’incorporel n’est pas présent au matériel, en tant que le matériel est incapable de s’assimiler à un principe complètement immatériel ; l’incorporel est présent au corporel, en tant que le corporel peut s’assimiler à lui. L’incorporel n’est pas non plus présent au matériel par réceptivité [en ce sens qu’une des deux substances recevrait quelque chose de l’autre] ; autrement le matériel et l’immatériel seraient altérés, le premier, en recevant l’immatériel, puisqu’il se transformerait en lui, et le second, en devenant matériel. Donc, quand un rapport s’établit entre deux substances aussi différentes que le corporel et l’incorporel, il y a assimilation et participation réciproque à la puissance de l’un et à l’impuissance de l’autre. C’est pourquoi le monde reste toujours fort loin de la puissance de l’être réel, et celui-ci de l’impuissance de l’être matériel. Mais ce qui tient le milieu, ce qui assimile et est assimilé tout ensemble, ce qui unit les extrêmes, devient une cause d’erreur à leur sujet, parce qu’il rapproche par l’assimilation des substances fort différentes.

  1. Voy. § 2 du livre IV.
  2. Voy. § 3 du livre IV.
  3. Voy. § 12 du livre IV.