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LXXVII
PRINCIPES DE LA THÉORIE DES INTELLIGIBLES.

contenu dans un lieu ; mais c’est d’une manière divisible, multiple, locale, que l’être qui occupe un lieu est présent à « l’être qui n’a point de rapport avec l’espace. » Il faut donc, dans nos spéculations sur l’être corporel et sur l’être incorporel, ne pas confondre leurs caractères, conserver à chacun sa nature, et bien nous garder d’aller, par imagination ou par opinion, attribuer à l’incorporel certaines qualités des corps. Personne ne prête aux corps les caractères de l’incorporel, parce que chacun vit dans le commerce des corps ; mais, comme on a peine à connaître les essences incorporelles, on ne s’en forme que des conceptions vagues et on ne peut les saisir tant qu’on se laisse guider par l’imagination. Il faut se dire à soi-même : l’être sensible occupe un lieu et est hors de lui-même parce qu’il a un volume ; « l’être intelligible n’est pas dans un lieu, mais en lui-même, » parce qu’il n’a point de volume. L’un est une copie, l’autre est un archétype ; l’un tient l’être de l’intelligible, l’autre le trouve en lui-même : car toute image est une image de l’intelligence. Il faut bien se rappeler les propriétés du corporel et de l’incorporel pour ne point s’étonner qu’ils diffèrent malgré leur union, s’il est permis de donner le nom d’union (σύνοδος) à leur rapport : car il ne faut pas ici penser à l’union de substances corporelles, mais à l’union de substances dont les propriétés sont complètement incompatibles. Cette union diffère entièrement de celle des substances qui ont la même essence : aussi n’est-elle ni un mélange, ni une mixtion, ni une union véritable, ni une juxtaposition. Le rapport du corporel et de l’incorporel s’établit d’une façon différente, qui se manifeste dans la communication des substances de même nature, mais dont aucune opération corporelle ne peut donner une idée[1] : l’être incorporel est tout entier sans étendue dans toutes les parties de l’être étendu, le nombre de ces parties fût-il infini ; « il est présent d’une façon indivisible, sans faire correspondre chacune de ses parties à une des parties de l’être étendu ; » il ne devient pas multiple pour être

  1. On retrouve les mêmes idées dans un passage de Porphyre cité par Némésius : « Porphyre s’exprime ainsi dans le second livre de ses Mélanges : Il est indubitable qu’une substance peut devenir le complément d’une autre substance ; qu’elle fait alors partie de cette autre substance, tout en demeurant en elle-même après être devenue le complément de cette substance ; qu’après s’être unie avec elle, elle conserve elle-même son unité. » Porphyre ajoute : « L’âme, sans être modifiée elle-même, modifie selon son activité propre ce à quoi elle est unie. » (De la Nature de l’homme, ch. III.) Il faut rapprocher aussi de ce passage le fragment d’Ammonius cité plus loin, p. XCVI.