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LXXII
PORPHYRE.

l’éternité constitue l’essence même de l’intelligence. Quant à cette intelligence d’autre espèce qui ne pense pas selon l’unité et dans l’unité, qui tombe dans le changement et dans le mouvement, qui abandonne un objet pour s’occuper d’un autre, qui se divise et se livre à une action discursive[1], elle a pour essence le temps[2]. La distinction du passé et du futur convient à son mouvement. En passant d’un objet à un autre, l’âme change de pensées : non que les premières périssent et que les secondes sortent subitement d’une autre source ; mais celles-là, tout en semblant évanouies, demeurent dans l’âme, et celles-ci, tout en paraissant venir d’ailleurs, n’en viennent réellement point, mais naissent du sein même de l’âme qui ne se meut que d’elle à elle, et qui porte son regard successivement sur telle ou telle partie de ce qu’elle possède. Elle ressemble à une source qui, au lieu de s’écouler au dehors, reflue circulairement en elle-même. C’est ce mouvement de l’âme qui constitue le temps comme la permanence de l’intelligence en elle-même constitue l’éternité. L’intelligence n’est point séparée de l’éternité, comme l’âme ne l’est point du temps. L’intelligence et l’éternité ne forment qu’une seule hypostase. Ce qui se meut simule l’éternité par la perpétuité indéfinie de son mouvement, et ce qui demeure immobile simule le temps en paraissant multiplier son continuel présent mesure que le temps passe. C’est pourquoi quelques-uns ont dit que le temps se manifestait dans le repos aussi bien que dans le mouvement, et que l’éternité n’était que l’infinité du temps. Ils transportaient ainsi à chacune de ces choses les attributs de l’autre. C’est que ce qui persiste toujours dans un mouvement identique figure l’éternité par la perpétuité de son mouvement, et que ce qui persiste dans un acte identique figure le temps par la permanence de son acte. Au reste, dans les choses sensibles, la durée diffère selon chacune d’elles. Autre est la durée du cours du Soleil, autre la durée du cours de la Lune, autre la durée du cours de Vénus, etc. ; autre est l’année du Soleil, autre est l’année de chacun de ces astres ; autre est enfin l’année qui embrasse toutes les autres années et qui est conforme au mouvement de l’Âme, sur lequel les astres règlent leurs mouvements. Comme le mouvement de l’Âme diffère du mouvement des astres, son temps diffère aussi du temps des astres : car les divisions de cette dernière espèce de temps correspondent aux espaces parcourus par chaque astre et par des passages successifs en divers lieux.

  1. Cette seconde espèce d’intelligence est la Raison discursive qui, selon Plotin, constitue l’essence même de l’âme.
  2. Voy. Enn. III, liv. VII, § 1.