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LXXI
PRINCIPES DE LA THÉORIE DES INTELLIGIBLES.

L’acte de l’intelligence est éternel et indivisible.

XXXII.[1] Autre chose est l’intelligence et l’intelligible, autre chose le sens et le sensible. L’intelligible est uni à l’intelligence comme le sensible l’est au sens. Mais le sens ne peut se percevoir lui-même[2]… L’intelligible, étant uni à l’intelligence, est saisi par l’intelligence et non par le sens. Mais l’intelligence est intelligible pour l’intelligence. Si l’intelligence est intelligible pour l’intelligence, l’intelligence est à elle-même son propre objet. Si l’intelligence est intelligible et non sensible, elle est un objet intelligible. Si elle est intelligible par l’intelligence, et non par le sens, elle sera intelligente. Elle est donc à la fois ce qui pense et ce qui est pensé, tout ce qui pense et tout ce qui est pensé. Elle n’agit pas d’ailleurs à la manière d’un instrument qui frotte et qui est frotté : « Elle n’est pas dans une partie d’elle-même sujet, et dans une autre, objet de la pensée; elle est simple, elle est tout entière intelligible pour elle-même tout entière[3]. » L’intelligence tout entière exclut toute idée d’inintelligence (ἀνοησία). Il n’y a pas en elle une partie qui pense, tandis que l’autre ne penserait pas : car alors, en tant qu’elle ne penserait pas, « elle serait inintelligente (ἀνόητος).  » Elle n’abandonne pas un objet pour penser à un autre : car elle cesserait de penser l’objet qu’elle abandonnerait. Donc, si elle ne passe pas successivement d’un objet à un autre, elle pense tout ensemble ; elle ne pense pas tantôt l’une, tantôt l’autre ; elle pense tout présentement et toujours[4]

Si l’intelligence pense tout présentement, s’il n’y a pour elle ni passé ni futur, sa pensée est un acte simple, qui exclut tout intervalle de temps. Ainsi tout y est ensemble, sous le rapport du nombre aussi bien que sous le rapport du temps. L’intelligence pense donc toutes choses selon l’unité et dans l’unité, sans que rien y tombe dans le temps ou dans l’espace. S’il en est ainsi, l’intelligence ne discourt point et n’est pas en mouvement [comme l’âme] ; c’est un acte qui est selon l’unité et dans l’unité, qui répugne au changement, au développement, à toute opération discursive[5]. Si, dans l’intelligence, la multitude est ramenée à l’unité, si l’acte intellectuel est indivisible et ne tombe point dans le temps, il est nécessaire d’attribuer à une pareille essence l’être éternel dans l’unité. Or c’est là l’éternité[6]. Donc

  1. Le § XXXII se rapporte aux § 3, 5-7 du livre III. Nous mettons entre guillemets les phrases empruntées à Plotin.
  2. Il y a ici une lacune.
  3. Voy. § 6 du livre III.
  4. Il y a ici une seconde lacune.
  5. Voy. § 3 du livre III. Sur la Raison discursive, Voy. p. 326, 340.
  6. Voy. Enn. III, liv. VII, § 2.