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LXV
PRINCIPES DE LA THÉORIE DES INTELLIGIBLES

s’y enferme. Rien ne l’y attache si ce n’est lui-même. Ce n’est point le corps qui délie l’incorporel par suite d’une lésion ou de sa corruption ; c’est l’incorporel qui se délie lui-même en se détournant des passions du corps.

De la Descente de l’âme dans le corps et de l’Esprit.

XXIII.[1] De même qu’être sur la terre, pour l’âme, ce n’est point fouler le sol, comme le fait le corps, mais seulement présider au corps qui foule la terre ; de même, être dans les enfers, pour l’âme[2], c’est présider à une image dont la nature est d’être dans un lieu et d’avoir une essence ténébreuse. C’est pourquoi, si l’enfer placé sous la terre est un lieu ténébreux, l’âme, sans se séparer de l’être, descend dans l’enfer quand elle s’attache une image. En effet, quand l’âme quitte le corps solide auquel elle présidait, elle reste unie à l’esprit (πνεῦμα) qu’elle a reçu des sphères célestes[3]. Comme, par l’effet de son affection pour la matière, elle a développé telle ou telle faculté en vertu de laquelle elle avait une habitude sympathique pour tel ou tel corps pendant la vie[4], par suite de cette disposition, elle imprime une forme à l’esprit par la puissance de son imagination, et elle s’attache ainsi une image[5]. On dit que l’âme est dans l’enfer parce que l’esprit qui l’entoure se trouve avoir ainsi une nature informe et ténébreuse ; et, comme l’esprit pesant et humide descend jusqu’aux lieux souterrains, on dit que l’âme descend sous terre ; non que l’essence même de l’âme change de lieu ou soit dans un lieu, mais parce qu’elle contracte les habitudes des corps dont la nature est de changer de lieu et d’être dans un lieu. C’est ce qui fait que l’âme, d’après sa disposition, s’adjoint tel corps plutôt que tel autre[6] : car le rang et les qualités particulières du corps dans lequel elle entre dépendent de sa disposition.

Ainsi, à l’état de pureté supérieure, elle s’unit à un corps voisin de la nature immatérielle, à un corps éthéré. Lorsqu’elle descend du développement de la raison à celui de l’imagination, elle reçoit un corps solaire. Si elle s’effémine et se prend d’amour pour les formes, elle revêt un corps lunaire. Enfin, quand elle tombe dans les corps terrestres, qui, étant en analogie avec son caractère informe, se

  1. Le § XXIII est cité par Stobée, Eclogœ physicœ, I, 52, p. 1038. Il se rapporte au § 9 du livre III de l’Ennéade IV (Doutes sur l’âme, I), qui est cité et commenté dans les Notes, p. 454.
  2. Voy. les Notes, p. 384.
  3. Voy. M. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique d’Aristote, t. II, p. 484.
  4. Voy. p. LVII, note 4.
  5. Voy. le passage de Dante cité dans les Notes, p. 455.
  6. Voy. le passage de Plotin cité dans les Notes, p. 388. Voy. encore p. LVII, note 3.