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DEUXIÈME ENNÉADE, LIVRE IX.

pneumatiques, qui sont encore ici-bas, appartiennent cependant au Plérôme par leur essence, et, par conséquent, sont étrangers au monde (ξένοι τοῦ ϰόσμου), c’est-à-dire supérieurs au monde par leur nature (ὑπερϰόσμιοι φύσει)[1]. Ils sont dans le monde (ἐν ϰόσμῳ), mais ils ne sont pas du monde (ἀπὸ ϰόσμῳ)[2]. Voilà pourquoi la vie terrestre est pour eux un exil (παροίϰησις)[3].

Ensuite, l’expression Terre étrangère, prise dans un sens plus étendu et appliquée au Plérôme en général, signifie que le Plérôme (considéré comme la région lumineuse de Bythos et des Éons) est séparé de la création par Horos (qui personnifie ici la limite[4] des deux mondes visible et invisible), que la Création est hors du Plérôme comme une tache dans un manteau[5] ou comme un centre dans un cercle. Voilà pourquoi Plotin dit :

« Si on laisse la matière isolée [du monde intelligible], il s’en suivra que les principes divins, au lieu d’être partout, seront en quelque sorte murés dans un lieu déterminé (§ 3, p. 265)... Comment ce monde sensible, avec les dieux qu’il contient, pourrait-il être séparé du monde intelligible ? » (§ 16, p. 301.)

Enfin, l’expression de Terre étrangère signifie encore que, Dieu étant un esprit, et l’esprit ne connaissant que les choses spirituelles (comme l’âme ne connaît que les choses psychiques)[6], Dieu ne connaît que les natures spirituelles et n’est connu que par elles. Il en résulte que la Création est hors du Plérôme, non-seulement en ce sens qu’elle occupe une région séparée, comme on l’a vu plus haut, mais encore en ce sens qu’elle est hors de la Connaissance de Dieu, parce qu’elle n’est pas connue de Dieu et qu’elle ne le connaît pas[7]. Voilà pourquoi Plotin dit :

  1. Voy. Clément d’Alexandrie, Stromates, IV, p. 540.
  2. Voy. S. Irénée, I, 6. Les Gnostiques s’appliquaient ces deux versets de S. Jean (xvii, 11, 16) : « Et jam non sum in mundo, et hi in mundo sunt, et ego ad te venio... De mundo non sunt, sicut ego non sum de mundo. »
  3. Voy. Enn. II, liv. ix, § 6, p. 271.
  4. Voy. plus haut, p. 509.
  5. Voy. S. Irénée, II, 5. Ce manteau, dans lequel le monde est comme une tache, représente la manifestation de Dieu : « L’Être suprême, dit Philon, est environné d’une éclatante lumière qui l’enveloppe comme un riche manteau. » (M. Franck, La Kabbale, p. 304.)
  6. Voy. S. Irénée, 1, 6. Ce principe des Gnostiques est analogue à celui des philosophes grecs : Le semblable est connu par le semblable. Voy. p. 208, note 3.
  7. « Ils disent qu’on est dans le Plérôme ou hors du Plérôme selon qu’on est dans la Science ou dans l’Ignorance, parce que celui qui est dans la Science est dans Ce qu’il sait... Étant hors de leur Science [en notre qualité de psychiques], nous sommes par là même hors du Plérôme. » (S. Irénée, II, 5.)