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DEUXIÈME ENNÉADE, LIVRE IX.

τῇ ϰαρποφορίᾳ), elle accourut à lui et reçut une vertu par l’effet de son apparition. Le Sauveur donna à Achamoth la forme de la science[1] et la guérit de ses passions ; il la sépara de ses passions sans toutefois l’en délivrer complètement : car les passions d’Achamoth ne pouvaient être anéanties comme celles de Sophia supérieure parce qu’elles s’étaient déjà enracinées et développées. Les ayant donc séparées d’ Achamoth, le Sauveur les mélangea, leur donna de la consistance, les changea de passions incorporelles en matière incorporelle, leur donna l’aptitude et la nature nécessaires pour former des agrégats et des corps. Il en résulta deux essences : l’une mauvaise, née des passions [l’essence matérielle] ; l’autre exposée aux passions et née de la conversion d’Achamoth [l’essence animique]. C’est pour cela que les Valentiniens disent que le Sauveur [Jésus] a créé le monde en puissance[2] δυνάμει δεδημιουργηϰέναι). »

« Délivrée de ses passions, Achamoth contempla avec amour les lumières (φῶτα) qui étaient avec le Sauveur, c’est-à-dire les anges qui l’accompagnaient, et, s’étant unie à ces anges, elle enfanta, à leur image, des fruits spirituels, semblables aux satellites du Sauveur (ϰεϰυηϰέναι ϰαρποὺς ϰατὰ τὴν εἰϰόνα, ϰύημα πνευματιϰόν, ϰαθ’ ὁμοίωσιν γεγονότων τῶν δορυφόρων τοῦ Σωτῆρος). » (S. Irénée, 1, 2, 4.)

Cette histoire allégorique de la chute et du repentir d’Achamoth offre sous plusieurs rapports une répétition de la passion de Sophia supérieure. Elle joue un rôle très-important dans le système de Valentin et dans les critiques que Plotin lui adresse.

1° Elle explique d’une façon figurée comment l’essence spirituelle, étant sortie du Plérôme, a, en s’éloignant de son origine, engendré successivement l’essence animique, puis l’essence matérielle, qui est la dernière émanation de la puissance divine[3]. — En effet, par son union avec les anges, Achamoth a enfanté les germes

  1. « Il lui donna, dit Clément d’Alexandrie, la connaissance des choses du Plérôme, depuis le Père incréé jusqu’à elle. »
  2. Jésus a créé le monde en puissance en formant la matière incorporelle qui, selon l’expression de Plotin, est la puissance de devenir toutes choses. Il a ensuite créé le monde en acte quand, par l’intermédiaire du Démiurge, il a changé la matière incorporelle en corps, et qu’il s’est servi de lui comme instrument pour former tous les êtres à l’image des Éons. Voilà pourquoi Héracléon disait : « Logos est le véritable créateur du monde (ὁ ϰατ’ ἀλήθειαν ϰτιστής)... C’est Logos qui a fait faire le monde au Démiurge. »
  3. De même, dans le système des Néoplatoniciens, l’Intelligence a engendré l’Âme, et l’Âme, la Matière.