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LX
PORPHYRE.

VIII.[1] Autre est la passion des corps, autre est la passion des choses incorporelles. Pâtir pour les corps, c’est changer. Au contraire, les affections et les passions propres à l’âme sont des actes qui n’ont rien de commun avec le refroidissement ou l’échauffement des corps. Par conséquent, si, pour les corps, la passion implique toujours un changement, il faut dire que toutes les essences incorporelles sont impassibles. En effet, les essences immatérielles et incorporelles sont toujours identiques en acte[2]. Quant aux essences qui touchent à la matière et aux corps, elles sont impassibles en elles-mêmes, mais les sujets dans lesquels elles résident pâtissent. Ainsi, quand l’animal sent, l’âme ressemble à une harmonie séparée de son instrument, laquelle fait vibrer d’elle-même les cordes mises à l’unisson ; quant au corps, il ressemble à une harmonie inséparable des cordes. La cause pour laquelle l’âme meut l’être vivant, c’est qu’il est animé. Il y a ainsi analogie entre l’âme et le musicien qui fait produire des sons à son instrument parce qu’il a en lui-même une puissance harmonique. Le corps frappé par l’impression sensible ressemble à des cordes mises à l’unisson. Dans la production du son, ce n’est pas l’harmonie elle-même qui pâtit, c’est la corde. Le musicien la fait résonner parce qu’il a en lui-même une puissance harmonique. Cependant, malgré la volonté du musicien, l’instrument ne produirait pas d’accords conformes aux lois de la musique, si l’harmonie elle-même ne les dictait.

IX.[3] L’âme se lie au corps en se tournant vers les passions qu’il éprouve (ἐπιστροφὴ πρὸς τὰ πάθη). Elle se détache du corps en se détournant de ses passions (ἀπαθεία)[4].

De l’impassibilité de la matière.

X.[5] Voici les propriétés de la matière d’après les Anciens : « La matière est incorporelle, parce qu’elle diffère des corps. Elle est sans vie, parce qu’elle n’est ni intelligence, ni âme, rien de ce qui vit par soi. Elle est informe, variable, infinie, sans puissance ; par conséquent, elle n’est pas être, elle est non-être ; elle n’est pas le non-être de la manière dont le mouvement est le non-être ; elle est véritablement le non-être. Elle est une image et un fantôme de l’étendue, parce qu’elle est le sujet premier de l’éten-

  1. Le commencement du § VIII est le sommaire des § 2 et 3 du livre VI.
  2. Ce qui suit se rapporte au § 4. Porphyre a développé la comparaison du musicien que Plotin indique brièvement à la fin du § 4.
  3. Le § IX est le sommaire du § 5 du livre VI. Il est cité par Stobée, Eclogœ physicœ, I, 52, p. 814.
  4. Voy. les Notes, p. 380-385.
  5. Le § X est un extrait du § 7 du livre VI.